02/12/2020
KR'TNT ! 486 : MARTY WILDE / BOB DYLAN / MEZZADRI BROTHERS / JARS + FRIENDS / INSURRECSOUND / ROCKAMBOLESQUES IX
KR'TNT !
KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME
LIVRAISON 486
A ROCKLIT PRODUCTION
FB : KR'TNT KR'TNT
26 / 11 / 2020
MARTY WILDE / BOB DYLAN MEZZADRI BROTHERS / JARS & FRIENDS INSURRECSOUND / ROCKAMBOLESQUES 9 |
TEXTES + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/
Born to be Wilde
L’an passé, RPM publiait un petit coffret magique consacré à Marty Wilde : A Lifetime In Music 1957-2019. His Highlights And Rareties. En l’ouvrant, vous allez tomber sur un booklet bien dodu. Marty Wilde s’y fend d’une bien belle introduction : «J’ai toujours été dans le business, je crois bien. J’ai démarré ma carrière à l’âge de 17 ans et aujourd’hui j’en ai 80 !». Le vieux Mart reconnaît avoir souvent changé de style, mais il avoue en même temps qu’un truc est resté constant en lui : my tremendous love of music. Et quand on connaît bien les galettes de Mart, on ne peut qu’hocher la tête en signe d’assentiment. Il règne dans tout ce qu’il fait une sorte d’esprit. Mart dit avoir connu tous les studios, à commencer par le mythique Philips Studio de Stanhope Place, puis le Regent Sound sur Denmark Street et bien sûr le fameux Abbey Road rendu célèbre par les Beatles. À travers Mart, c’est toute l’histoire du rock anglais qui défile sous nos yeux globuleux.
Avant de devenir célèbre sous le nom de Marty Wilde, Mart s’appelle Reg Smith. Il gratte un peu sa gratte au Condor, un club de Soho, et Bart le repère. Bart parle de Reg à Parnes qui se met en chasse. Il croit le choper au club but Reg is gone, lui dit le boss, to catch his bus. Oh fuck, fait Parnes. Il n’a qu’une seule info : Reg vit à Greenwich, alors Parnes le cherche et finit par le trouver. Il sonne chez Smith. Mom Smith ouvre. Oui, Reg c’est bien ici. Come on in ! Have a cup of tea ? Have a biskit ? Parnes a le contrat dans sa poche. Il le sort, le déplie et le pose sur la table. Il tend son bic à Reg. Signe là mon gars ! And now tu t’appelles Marty Wilde. What ? Reg coince mais finit pas s’y faire.
Larry Parnes est un fabriquant de stars. Il débute dans le biz comme associé de John Kennedy, pas le président, non, mais le mec qui a découvert Tommy Steele. Puis Parnes se sépare de Kennedy pour monter son écurie. Mart est son premier poulain, suivi de Ron Wycherly (Billy Fury), Ray Howard (Duffy Power), Clive Powell (Georgie Fame) et d’autres moins connus comme Vince Eager, Dickie Pride, Lance Fortune ou encore Johnny Gentle. Tous bien sûr rebaptisés par Parnes. Et si Mart a très vite du son, c’est pour deux raisons : un, John Franz le prend sous son aile et deux on trouve dans ses Wildcats Big Jim Sullivan et deux des plus grands batteurs du temps d’avant, Bobby Graham et Bobbie Clark. Mart va enregistrer une palanquée de singles énormes, on y revient tout à l’heure, et une poignée d’albums plus ‘commerciaux’. Il est grand temps de redire haut et fort que Marty Wilde est l’un des plus prestigieux rockers d’Angleterre. Peut-être même LE plus prestigieux.
Son premier album,Wilde About Marty, est sorti en 1959, longtemps avant que tout explose en Angleterre. Philips a fait le choix d’une pochette très américaine, une esthétique qui rappelle celles des pochettes de Dion ou de Ricky Nelson. On trouve pas mal de hot stuff sur ce premier tir, à commencer par cette reprise superbe et battue à la folie du «Down The Line» de Buddy Holly qu’il chante avec des accents de Gene Vincent. Autre merveille en fin de B : «Splish Splash» - Open the door ! - Quelle dégaine ! Il finit sa B avec un joli shoot de heavy blues, «So Glad You’re Mine» qui préfigure le believe I dust my blues du Spencer Davis Group. C’est bardé de son, comme le seront tous les grands hit de Mart. Il tente de foutre le feu à Londres avec «Put Me Down» mais pour ça, mon gars, il faut s’appeler Jesse Hector. Il taille ensuite une croupière au «Blue Moon Over Kentucky». Il démarre sa B avec l’excellent «All American Boy» bien ramoné de la cheminée. Mart y croit dur comme fer et ça s’entend, en dépit des faux airs de comedy act. Il se prend pour Jerr avec «High School Confidential». Pas facile de jouer la carte des géants. Il s’en sort avec les honneurs, même si son high school bop est un peu léger.
C’est sur Showcase paru en 1960 qu’on trouve sa version de «Fire Of Love», un hit gluant signé Jody Reynolds que reprendra vingt ans plus tard Jeffrey Lee Pierce avec le Gun Club. Mart est un fantastique précurseur. S’ensuit un autre hit de Jody Reynolds, «Endless Sleep», assez éperdu, chanté au vieux footsteps. Mais l’album a ses faiblesses, avec les cuts plus poppy comme cette reprise d’un hit de Dion & The Belmonts, «A Teenager In Love». Il faut souligner l’incroyable qualité du son. Avec «It’s Been Nice», Mart sonne comme Buddy Holly. On retrouve chez lui le même genre de ferveur lumineuse. Mart est the real wild guy d’Angleterre, il fait tout à la voix, il explose sa petite pop. Dommage qu’on l’oblige parfois à enregistrer des navets. Il sauve son album avec «Bad Boy» puis «Johnny Rocco». «Bad Boy» est le grand hit de Mart. S’il est un hit qui illustre bien la délinquance britannique c’est celui-ci. Mart le chante à l’insidieuse carabinée. On salue aussi bien bas l’immense «Johnny Rocco».
Paru la même année, The Versatile Mr. Wilde manque un peu de sauvagerie. Mart fait l’impossible pour sauver son album, mais on l’oblige à chanter des cuts assez ineptes. Il doit avaler des couleuvres toutes plus grosses les unes que les autres. Alors qu’en parallèle, il ne sort que des singles magiques, comme on va le voir par la suite. Marty Wilde disposait d’un vrai potentiel. Comme Vince Taylor, il aurait pu exploser l’Angleterre, alors il fallait le calmer. Et puis soudain voilà qu’en fin de bal d’A apparaît un hit : «Amapola», monté sur un drive de big band. On se croirait chez Sinatra. C’est bombardé de son. En B, il cherche à faire venir une poule chez lui avec «Come On-A My House» - I’ll give you a candy/ I’ll give you everything - C’est du sexe pur. On croirait entendre une bite chanter. Il essaye de sauver l’album avec «To Be With You» et il finit avec un «Autumn Leaves» très Broadway.
C’est aussi l’époque où il participe à des comédies musicales. Il chante trois cuts dans Bye Bye Birdie, un spectacle donné dans un théâtre londonien en 1961. C’est du comedy act à la con. «Put On A Happy Face» ? Fuck you Happy Face ! Les seuls cuts intéressants sont ceux que chante Mart the crack. Il fait un brin d’Elvis dans «Honestly Sincere», se ridiculise dans «One Last Kiss» et sauve les meubles avec «A Lot Of Livin’ To Do». Mart ramène sa classe dans le to do, mais une super-connasse vient casser les noix du cat. Et comme c’est du big Broadway bash, Mart y éclot avec tout le confort qu’apporte le big band, il donne tout ce qu’il a dans le ventre. Mine de rien, Mart sauve Birdie de l’avanie.
Mais comme on l’a indiqué plus haut, tout le jus de Mart se trouve sur les singles. Il suffit de ramasser n’importe quelle compile de singles pour en avoir le cœur net. Marty Wilde fut sans doute le seul rocker d’Angleterre à pouvoir chanter du rockab, c’est en tous les cas ce que montre «Wildcat», visité par un solo de sax et monté sur un wild drive de slap. Même chose avec «Love Bug Crawl» et sa ferveur haletée. C’est d’une crédibilité sans nom. Encore une merveille avec «Oh Oh I’m Falling In Love», monté sur un fabuleux shake de clap-hands. On voit aussi qu’il dispose de gros moyens dans «Sing Boy Sing», pur jus de swing de jazz anglais. Il continue de faire les 400 coups avec «Her Hair Was Yellow». Avec ses singles, il sonne comme le roi du UK beat. Il devient littéralement phosphorescent avec «Mysery’s Child» et il claque bien le beignet de «Love A Love A Love A», un cut emmenée au drive de slap descendant. Wow ! «Hide & Seek» sonne comme une fuite en avant et on adore Mart pour cette faculté de fuite. Encore un exploit hautement productiviste avec «Tomorrow’s Clown» : quelle atmosphère ! Mart chante ça heavy dans le mellow d’une sourde ondulation. La heavy pop de «Come Running» se montre digne de Del Shannon, même si elle est très exacerbée. «Jezebel» sonne comme le real deal, monté sur le plus impérieux des riffs. Mart chante son «Don’t Run Away» à la passion pure et il swingue son «Ever Since You Said Goodbye» comme une vieille pop, mais on se doute bien que ce genre de classe n’intéresse plus grand monde aujourd’hui. Mart ancre sa pop dans un culture trop ancienne. Et pourtant «Danny» éclate au grand jour, avec son claqué de guitare et un gusto digne d’Elvis. Mart entre dans sa période big sound avec «Little Girl» et revient au rockab pur et dur avec «My Baby Is Gone». Si on s’interroge sur le sens du mot véracité, la réponse est là. On se croirait même sur un single Meteor tellement ça sonne les cloches. On voit rarement des cuts aussi explosifs qu’«Angry» : big band for big Mart. Même chose avec le «Rubber Ball» de Bobby Vee, un son de rêve, et là, on se croirait carrément au Brill. C’est dire si ce mec a tout bon. Encore une belle attaque rockab avec «Your Loving Touch» - You don’t care for me/ Why don’t you set me free - Son attaque est celle d’une big American star. Mart est un crack. Encore un shoot d’American craze avec «When Does It Get To Be Love». Mart y croit, c’est un convaincu du to be love, il est même encore pire qu’Elvis, il enfonce sa canne dans l’ass du rock et les filles derrière font waddy waddy wahhhh. C’est un kitsch qui dépasse toutes les espérances du cap de Bonne Aventure.
Wow, la classe de Mart sur la pochette de Rock ‘n’ Roll ! Il chevauche une Triumph en gilet de cuir noir et fixe l’objectif avec la mine stoïque d’un rocker anglais. Fantastique allure et on peut dire la même chose de cet album produit par John Franz. Depuis le début, Marty Wilde nous habitue à une belle forme de pertinence et son «Hound Dog» ne fait que renforcer l’impression d’être en excellente compagnie. Il nous bricole une version râblée, sérieuse, corsée, bien cousue, bâtie sur un drive de basse solide et dévorant. S’ensuivent un «Summertime Blues» de caractère et un «Wake Up Little Susie» bardé de son. Marty Wilde tient bien son rang de prince des pionniers britanniques. Il fait encore un carton avec son «Rave On» et nous expédie au paradis avec le fantastique swagger qu’il met en œuvre pour trousser «Lawdy Miss Clawdy». Cet album est un monster, les chœurs de filles donnent le vertige et Marty Wilde chante ça au beat des reins. Power & hip shake ! Il attaque sa B avec un violent shoot de «Good Rocking Tonight» - I heard the news/ There’s a good rocking tonite ! - Il est l’un des plus habilités à chanter ça, il injecte du rockab dans son Rockin’. Ce mec swingue comme un démon. On entend rarement des albums de covers rock’n’roll aussi bien foutus. Comme on est en Angleterre, il adresse un gros clin d’œil aux Beatles avec une reprise gonflée de «Paperback Writer», sans doute l’un des cuts les plus difficiles à reprendre, car c’est gorgé d’harmonies vocales insidieuses. Mais Mart se marre, il s’en tire avec les honneurs. Il tape plus loin dans «The Fool» et rend un fuckin’ great hommage à Sandford Clark.
Difficile de se lasser d’un chanteur aussi parfait que Marty Wilde et encore moins d’un album comme Diversions, paru en 1969 et devenu culte. On entre au paradis avec «Any Day». Le paradis, c’est-à-dire la grand pop orchestrée de London 69. On sait dès l’intro d’Any Day qu’il faut attendre un miracle : Mart y explose la pop en plein ciel. Il nous plonge dans l’artefact aristocratique pop et les chœurs font «Any day !». Stupéfiant. Il enchaîne avec «It’s So Unreal», il groove son shit par l’abdomen et l’album devient demented, tout ici est supérieur : le chanteur, la prod, l’ambiance. Mart explose au-delà de toute commune mesure. Il reste dans le haut vol avec «Zobo», dans le confort d’une prod de rêve et s’appesantit sur «Learning To Love», mais en même temps, il ultra chante. C’est un timbre qui oblitère. Il attaque sa B avec «Ice In The Sun» et chante comme the real deal d’Angleterre. Il monte en pression dans «Alice In Blue», mais de façon extravagante, il use et abuse de son power, il peut exploser à n’importe quel moment. Il avance dans l’air du temps à la seule force du poignet. «Felicity» et «In the Night» sonnent encore comme des pures merveilles. Il monte comme Richard Harris dans «MacArthur Park», même power et même grandeur dans le développé. Ce mec nous balade dans son monde, sa classe le met à part. Dommage que cet album génial soit passé inaperçu à l’époque.
Revenons à cette petite box jaune RPM qu’on peut acheter les yeux fermés : A Lifetime In Music 1957-2019. His Highlights And Rareties. Pourquoi ? Mais parce que c’est de la dynamite. Si on ne savait pas que Marty Wilde était l’un des géants du rock anglais, cette petite box jaune est là pour le rappeler. On y trouve quatre disks et un livret bien documenté. Comme ceux d’Ace, les gens de RPM ne font jamais les choses à moitié. Le disk 1 ne propose que des singles. On y retrouve «Wild Cat». Mart y fait le rock anglais à lui tout seul, avec un solo de sax dans la folie du drive. «Love Bug Crawl» est du vrai rockab anglais joué aux guitares claironnantes. Il faut aussi entendre ce «Oh-Oh I’m Falling In Love Again» joué aux clap-hands et l’excellent «Sing Boy Sing» allumé au chant délinquant. C’est Mart qui fait la première cover de «The Fire Of Love». Il fait sa star et chante «Bad Boy» au petit développé. Il sait monter en puissance au long cours d’un cut. On se régale aussi du son de guitare dans «My Heart And I», aw c’mon Mart ! On finit par adorer sa voix. Il y a toujours un petit côté killer chez lui. Avec «Angry» et «Little Girl», il passe au drive de big band, et emmenée par un bassmatic élastique, sa pop bascule dans des tourbillons de folie douce. On note chez Mart une incroyable profusion de bons cuts. Il chauffe son «My Baby Is Gone» à la manière de Gene Vincent et revient au big jump à la Count Basie dans «Amapola». Perché au somment du beat, Mart fait le cake. Nous voilà dans le Kosma des Feuilles Mortes avec «Autumn Leaves» - I see your lips/ The sorry kisses - L’incroyable de cette histoire est qu’il bénéficie toujours d’orchestrations extravagantes. En fait, Marty Wilde était surtout l’homme des singles. Tout est extrêmement intéressant. Encore une merveille avec «When Does It Get To Be Love». Les filles derrière sont déchaînées, elles en rajoutent et Mart roucoule dans l’enfer du wa-choo-wah. Il chante tout à la régalade et sonnerait presque comme Elvis dans «Your Loving Touch».
Le disk 2 qui propose encore des singles se révèle encore plus diabolique, mais il faut attendre «Jezebel» pour tomber de sa chaise. Pur jus d’Angleterre de 62, une vraie pépite montée sur un gros drive de riff. Mart n’en finit plus de bénéficier d’une prod superbe. Ses singles sont généralement des merveilles palpitantes, comme ce «Honestly Sincere» joué au pire London drive. Les filles poussent des cris et ça bascule dans la folie. Dans «A Lot Of Living To Do», il duette avec une sucrée des enfers, Sylvia Tyside. Comme derrière joue un big band, nous voilà embarqués à Broadway. S’ensuit un hommage spectaculaire à Doc Pomus : «Lonely Avenue», heavy et beau, noyé d’harmo, parfaitement mythique. Puis on voit Mart évoluer avec les modes, «Save Your Love For Me» est assez pop. Il s’adapte bien aux changements. Puis il passe au heavy London rock avec un «Bless My Broken Heart» bardé de son et d’excitation. Derrière, des mecs font «Ahum !». Encore de la heavy pop avec «I Can’t Help The Way That I Feel». C’est à se damner tellement c’est bien foutu et bien chanté. Mart the cat reste en prise sur l’actu avec «Kiss Me». Il sonne juste de bout en bout. Quelques bonus viennent compléter cette impressionnante série de singles, à commencer par une version live de «Move It» avec Hank Marvin. Il faut les voir swinguer le vieux London rock. C’est très viscéral - C’mon pretty babe - Ils en font une horreur sublime. S’ensuit un «Milk Cow Blues» bien sonné des cloches. Mart rocks it out ! On trouve les racines du pub-rock anglais dans «The Price Of Love». Ils sont dedans jusqu’aux oreilles.
Le disk 3 propose une session Radio Luxembourg datant de 1959 suivie de quelques bonus. Dès «My Babe», Mart rocke comme un démon. C’est très sauvage, chaque départ en solo casse la baraque. Puis ils tapent une énorme version de «Blue Moon Of Kentucky». On observe une montée en puissance du slap. Mart sait rocker sa chique. On le voit encore tout casser dans «Go Go Go (Move On Down The Line)». Il a le diable au corps, il radiguette à qui mieux mieux. C’est littéralement bardé d’accès de folie. Il racle plus loin son «I’m In Love Again» au vieux rumble de rockab et après un faux départ, «My Baby Left Me» explose au firmament des reprises. Mart fait son King et le fait encore dans «Trouble». Il s’en donne les moyens. Il adore Elvis, ça crève les yeux. Il fait aussi une version bien speed de «Blue Suede Shoes». Après un mauvais départ, ils redémarrent et tout bascule une fois de plus dans la folie pure. Ils attaquent «High School Confidential» à la Jerr. Mart est réellement le real deal du rock anglais. Il faut prendre ce mec très au sérieux. On s’émerveillera aussi de ce «Need Your Love Tonight» amené au tiguili de vieux rumble américain. Quelle énergie, ces mecs jouent leur ass off. Mart rend ensuite hommage à Little Richard («Rip It Up») et à Buddy Holly (Oh Boy») - All my love ! - Fantastique ! Alors attention aux bonus, car ça démarre avec «Caterpillar». Eh oui, Mart vire glam. Il en bouche un coin. Marc Bolan peut prendre des notes ! Mart revient à la pop avec «Yesterday Started For Judy». Il ne fait que du big body of work. Il redevient plus ambitieux avec «All Night Girl», c’est plus axé sur the Wilde réputation et les oh-oh flirtent avec le glam. Watch out, here she comes ! Il tente un énorme retour au heavy rock avec «She’s A Mover». C’est stupéfiant car le son est d’une réelle modernité. Mart shakes it wilde. Paumé dans les seventies, il parvient pourtant à faire son boulot. Il reste un artiste passionnant avec un truc comme «I Love You». Ses essais tardifs accrochent aussi bien que ceux de ses débuts. On a là une vraie présence, une vraie voix et donc un authentique artiste. Il rend hommage à Roy Orbison avec une version d’«In Dreams». Bravo Mart ! On sent le fan investi de tous les pouvoirs. Il réussit même à faire exploser «In Dreams» et à monter par dessus. Voilà pourquoi il faut écouter Marty Wilde. En 1982, il passe à l’electro avec «Hard To Find Easy To Love». Pour la première fois, il se vautre lamentablement.
C’est là où les mecs de RPM sont très forts : ils proposent un disk 4 bourré d’INÉDITS. Après le beau heavy blues d’I told you mama («The Next Hundred Years») et un «Feel The Mood» monté sur le groove humide de «Shakin’ All Over», on file directement sur un «Since You’re Gone» enregistré en 1965 et encore plus pop que tout le Swingin’ London réuni. Mart chante à l’unisson du canasson de Carnaby. Fantastique qualité du son et de l’esprit. C’est bardé, complètement bardé. Il duette sur «Just As Long» avec une copine sucrée et un tambourin. Même le folk-rock de «Daddy What’ll Happen To Me» est indécent de qualité. Avec «Jesamine», il est encore une fois en plein dedans, il sonne exactement comme les Beatles, très 68. Marty Wilde aurait dû exploser à la face du monde. Il se prend pour Ronnie Lane avec «Riffles & Firewater» et il a raison. Mart suit l’évolution. Ses démos sont très pop, très décidées à en découdre. Il chante la heavy pop très orchestrée d’«It Didn’t Have To Be This Way» avec l’aplomb d’un crooner au poitrail velu. Et voilà qu’éclate la fantastique pop de «Sunny St Louis». Il s’y affirme encore comme l’un des géants du rock anglais, il plie sa pop en quatre. Il sort des harmonies vocales dignes de l’âge d’or des Beach Boys. «A Place In My Heart» est plus capiteux, car chanté du haut de la falaise de marbre, mais vraiment chanté. Il y a chez Marty Wilde la justesse de ton qu’on trouve chez Fred Neil, Jimmy Webb ou Emmit Rhodes. Il revient à la chère folie de craze avec «Leaping About». Non seulement il peut allumer un cut, mais il sait aussi en faire un hit avec deux fois rien : un bout de stomp en caoutchouc, une voix et un peu de nostalgie. Il fait ensuite du bubblegum avec «Jungle Jim», et casse ensuite la baraque avec «I’m A Mover». On se croirait chez Free. Il explose son Mover en parfait glamster, aw right ! Il fait carrément du proto-punk avec tous les réflexes de bon aloi et s’il y a un mec en Angleterre qui est autorisé à proto-punker, c’est bien Marty born to be Wilde. Hey babe, I’m a mover. Il va shaker son move jusqu’à la fin des temps.
L’un des meilleurs investissements que l’on puisse faire avec le coffret magique RPM, c’est cette compile intitulée The Wildcat Rocker, parue en 1981. Au dos, Nick Garrard se fend d’un texte superbe : il y raconte l’histoire de Reg devenu Mart, grâce à Larry Parnes, qui le découvrit au Condor, à Soho. Dès le «Wildcat» d’ouverture de bal d’A, on est conquis. Mart dispose d’une merveilleuse niaque. Il y a un peu d’Elvis en lui et du brit grit dans le déhanché. Très haut niveau, sens aigu de l’insistance et de la persistance. Encore un joli shout de wild rock avec «Put Me Down». Mart does it right, il sait tempérer le suspense. On le voit faire du Brit Elvis dans «So Glad You’re Mine» et «Danny». Il sait dérouler un déroulé. En B, on tombe sur un «Bad Boy» qui date de 1959. C’est une merveille de profondeur wildy. Mart chante à la délicatesse pervertie. Il nous fait ensuite le coup du big band blast avec «Angry» et revient à Elvis pour «Your Loving Touch». Marty Wilde est ce qu’on appelle un artiste complet.
Ce serait aussi une grave erreur que de faire l’impasse sur ce Solid Gold, paru en 1994. Pas parce qu’il porte un nom clinquant, mais parce que Mart y fait une délicieuse cover de «Dedicated To The One I Love». Il parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, celui du temps des lilas qui couraient jusque sous les fenêtres des Shirelles et des Mamas & the Papas. Mart en a l’esprit et les chœurs, mais avec le power d’Angleterre et tout le vibré de glotte dont il est capable. C’est pourri de feeling, il swingue son chat perché au déhanché magnifique. On se régale aussi du «Dancing In The Dark» et de la fantastique tension chantante. Dommage que ce soit du Spingsteen. Il fait un «Billy Fury Tribute» plus rococo et on voit avec «Shane» qu’il a du ventre à revendre. Il duette avec sa fille Roxanne sur «I’ve Learnt It All To You» et rend un fier hommage à Elvis avec «Little Sister». Donc voilà.
Signé : Cazengler, Marteau Wilde
Marty Wilde. Wilde About Marty. Philips 1959
Marty Wilde. Showcase. Philips 1960
Marty Wilde. The Versatile Mr. Wilde. Philips 1960
Marty Wilde. Diversions. Philips 1969
Marty Wilde. Rock ‘n’ Roll. Philips 1970
Marty Wilde. The Wildcat Rocker. Philips 1981
Marty Wilde. Solid Gold. Select Records 1994
Marty Wilde. A Lifetime In Music 1957-2019. His Highlights And Rareties. Box RPM 2019
Dylan en dit long - Part One
C’était au temps des disquaires, voici plus de quarante ans. Les kids entraient dans le bouclard et commençaient à fureter. Le vieux disquaire en interpellait un de temps en temps :
— Tu cherches quoi mon gars ?
— Du pounk !
— Regarde dans le bac, à ta gauche. Mais pourquoi n’écoutes-tu pas Dylan ? Ça te plairait beaucoup.
— Chais pas ! Comprends ‘ren de c’qui dit !
Le malentendu ne date pas d’hier. En France, la fameuse barrière du langage n’a pas arrangé les choses. Le gros avantage qu’ont les Français sur les Anglais, c’est de pouvoir écouter du rock sans comprendre les paroles. Et Dylan sans les paroles, ça fonctionnait bien au temps de «Like A Rolling Stone». Mais le vieux disquaire s’y prenait comme un manche. Il essayait de vendre Bob Dylan à des kids en perfecto qui ne rêvaient que de délinquance et non de littérature anglo-saxonne.
Car c’est là que se trouve le fond du problème. On voit Bob Dylan comme une rock star, alors qu’il se situe complètement à un autre niveau. Dans son dernier numéro, Mojo nous entraîne encore plus loin dans le malentendu. On sent que Dylan nous échappe complètement, mais on n’imagine pas à quel point. Les plus raisonnables d’entre-nous le percevront comme un poète universaliste, un équivalent américain de Léo Ferré, une sorte de messie rimbaldien passé maître dans l’art de l’ellipse prophétique. Mais l’œuvre est tellement considérable qu’elle déclenche d’autres phénomènes, des phénomènes incontrôlables de type Fantasia. Dylan est certainement l’artiste contemporain qui a généré le plus de vocations d’exégètes. D’ailleurs ça a fini par lui poser un problème, car un nommé Alan Jackson raconte que Dylan n’accepte les interviews que dans la pénombre et sans contact visuel. En gros, regarde tes pompes et évite les questions trop pointues - Don’t be a superfan, c’est ridicule et c’est triste - Mais vous les connaissez les exégètes, plus vous leur dites de fermer leur boîte à camembert et plus ils s’excitent. Rien ne pourrait empêcher ces fanatiques de voir Dylan comme l’incarnation humaine d’un dieu dont chaque parole serait chargée de sens. Dans l’Odyssey de Mojo, un certain Grayson Haver Currin nous tartine quatre pages d’exégèse bubonique sur Rough And Rowdy Ways, le nouvel album de Dylan. Une façon de nous dire que si on ne lit pas sa fucking exégèse, on passera à côté de l’essentiel. Il a raison, on est vraiment trop cons. C’est en gros ce que le vieux disquaire disait aux kids en perfecto, pas intentionnellement bien sûr, mais le résultat est le même. T’es trop con pour écouter Dylan. Alors que de toute évidence, Dylan a choisi le rock pour justement pouvoir s’adresser au plus grand nombre. Comme John Lennon, il avait mesuré l’ampleur du rock en tant qu’outil de propagation d’une révolution pacifique, un outil bien plus efficace que la politique, la littérature ou le cinéma. Ça a bien failli marcher.
Chacun voit Dylan à sa façon, et c’est toujours intéressant. Aux yeux des gros veinards qui ont grandi avec les sixties, Dylan eut le même impact en 1965 que les Stones et les Beatles : à la radio, «Like A Rolling Stones» rivalisait de grandeur tutélaire avec «Satisfaction» et «Day Tripper». On parle bien sûr du Dylan électrique, car l’early Dylan passait mal, trop folky folkah pour des oreilles habituées à Jerry Lee et Little Richard. Mais la sauvagerie de «Tombstone Blues», oh yeah ! D’ailleurs, dans l’Odyssey, on trouve cet extrait du book d’Al Kooper (Backstage Passes & Backstabbing Bastards, un book pas très bon) dans lequel Kooper raconte comment il s’est retrouvé au studio Columbia en 1965 pour les sessions d’Highway 61 Revisited. Un coup de pompe dans la porte du studio et voilà qu’arrive Dylan suivi d’un mec qui porte sa Telecaster sur l’épaule, comme un fusil. La Tele est trempée car dit Kooper il pleuvait à verse et le mec s’appelle bien sûr Mike Bloomfield. Et puis il y a cette recommandation que fait Dylan à Bloomy et qui n’est pas dans Mojo : «Don’t play no B.B. King shit !». Le message est bien passé. Comme l’ont fait les Stooges, Jimi Hendrix et le Velvet, Dylan lègue à la postérité une trilogie d’albums magiques sur laquelle on reviendra : Highway 61 Revisited, Bringing It All Back Home et Blond On Blonde. Pour Mick Farren qui le vit à l’Albert Hall lors de sa première tournée anglaise, Dylan c’était Jesus Christ on a Harley (on trouve deux pages somptueuses sur Dylan dans Give The Anarchist A Cigarette, l’une des bibles du rock anglais). La copine Bémolle qui aimait aller au théâtre et «faire» des expos au Grand Palais n’écoutait pas beaucoup de rock, mais elle avait acheté deux albums dirons-nous tardifs de Bob Dylan, Time Out Of Mind et Love And Theft. Elle ne savait pas dire pourquoi elle aimait tant ces deux albums, mais lorsqu’on rentrait tard d’une virée en ville, on les écoutait religieusement tout en descendant une dernière bouteille de pif. Dylan on le sait a toujours plu aux intellos et aux intellotes pour des raisons mystérieuses. Le charme discret de la bourgeoisie ? Va-t-en savoir. Et l’autre jour, on écoutait justement Rough And Rowdy Ways chez un bon copain qui venait d’en faire l’emplette et qui ne savait pas non plus dire pourquoi il aimait le vieux Dylan. Recherche d’un confort culturel ? Goût prononcé pour la chaleur d’une voix ravinée ? Va-t-en savoir. Du coup le vieux Dylan servit de musique de fond pendant le repas, un sort auquel il devait être habitué, après tout. Mais l’album ne remplissait pas son rôle qui était de détendre l’atmosphère, il générait au contraire un léger malaise. Car s’il est un artiste qui ne supporte pas qu’on cause pendant qu’il chante, c’est bien Dylan. On notait par instants que sa diction s’était améliorée, ce qui rendait encore plus pénible le fait de ne pas pouvoir l’écouter plus attentivement en sirotant quelques bons verres de pif.
Du coup, l’idée d’un rapatriement de Rough And Rowdy Ways commençait à germer, bien dopée par la parution du Mojo pré-cité, mais la tartine du brave exégète nous ramène au point de départ : que peut-on piger sans l’aide d’un exégète ? Pas grand chose. De ce point de vue, Currin est encore pire que le vieux disquaire. Pour pallier notre manque d’érudition, il nous explique par exemple que «False Prophet» sort tout droit d’une B-side Sun de Billy The Kid Emerson. Il nous replonge alors le museau dans les Sargasses du Theme Time Radio Hour. Il dit même que «False Prophet» est le condensé d’un épisode entier du Theme Time Radio Hour. Débrouille-toi avec ça. Et ce n’est pas fini car il en rajoute une couche en affirmant que «Murder Most Foul» sort à la fois de Bud Powell, de Burt Bacharach, des Eagles, de St James Infirmary, il dit aussi que Dylan accouple Gene Vincent et Carl Perkins, Al Green et Libba Cotten. C’est ça les exégètes, tu leur donnes la parole et t’es baisé. Ce gros malin de Currin nous rappelle ce qu’on savait déjà, que Dylan est un juke-box à roulettes. Mais aussi une bibliothèque à roulettes, et là, ça explose, comme une crise de dysenterie : le poète irlandais Anthony Raftery, William Blake et Edgar Allan Poe surgissent dans «I Contain Multitudes», puis Currin accuse Dylan de faire son Frankenstein en charcutant Shakespeare, la Bible, Steinbeck, Ovide et les Mémoires de César pour en faire des ready-made à la Duchamp, mais là il se vautre, car Duchamp n’a jamais rien charcuté, au contraire. Alors, on s’y perd, avec toutes ces conneries. Ce délire référentiel s’inspire de toute évidence du passage de Chronicles où Dylan décrit de mémoire le contenu d’une bibliothèque, mais c’est à un autre niveau. Nous y reviendrons.
L’autre fou continue. Il dissèque «Mother Of Muses» comme une grenouille en cours de sciences nat’ et y trouve Mnémosyne, la mère des neuf muses de la mythologie grecque, puis Calliope, mère d’Orphée, comme s’il voulait attirer l’œil de Damie Chad. Dans «Goodbye Jimmy Reed», Currin compte combien de fois Dylan cite le nom de Jimmy Reed. Côté paroles d’évangile, Currin ne mégote pas. Il conclut son paragraphe Jimmy Reed en nous rappelant que nous ne sommes pas éternels - sur un album qui se joue de la vérité, la mort reste le seul fait intangible - ça, on est bien d’accord. Et puis voilà une autre parole d’évangile, cette fois signée Dylan : «Key West est l’endroit où il faut être/ Si vous recherchez l’immortalité.» Du coup on est complètement paumé.
Signé : Cazengler, Bob Dilemme
A Bob Dylan Odyssey. Mojo #325 - December 2020
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Dans notre livraison 316 du 16 / 02 / 2017, nous présentions Croquis Rock & Roll d'Ange-Mathieu Mezzadri, publié aux Editions Autres Temps un recueil de poèmes-rock récupéré dans un bac à soldes – c'est dans le sable des rivières que l'on trouve les pépites d'or – un texte fort, pas du tout du gnan-gnan rock'n'roll, l'était bien spécifié qu'il existait aussi un cd, mais un petit malin n'aimant pas lire ( on le déplore ) mais adorant le rock ( on le félicite ) avait dû le subtiliser, nous ne lui en voulons pas, surtout si son geste s'inscrivait dans une démarche de réappropriation économico-culturelle. Et ce matin, au courrier, le chien rentrant de me promener, le susdit CD. Pour ceux qui ne souscrivent pas à l'existence des anges-gardiens, sachez que le mien s'appelle Ange-Mathieu Mezzadri.
CROQUIS ROCK & ROLL
poesie rock
MEZZADRI BROTHERS
( Editions Autres Temps / 2016 )
Ange-Mathieu Mezzadri : textes + voix, harmonicas, percussions / Olivier Mezzadri : musique, basses, guitares, autres instruments.
La race des seigneurs : vous attendez le rock'n'roll, apparemment il y a plus fort, la poésie seule. La musique est aux abonnés absents. Elle est juste reléguée au bout extrême des vingt-six laisses vocales, un bruit bref de ressort, qui ne s'attarde pas. Façon de rappeler le crissement de la page que l'on tourne. Surprenante cette voix, tranquille, sereine, agréable, dépourvue de la moindre convulsion. Elle n'est pas au diapason des timbres rouillés du blues originel, lui manque même l'ampleur lyrique que l'on serait dans notre droit d'imaginer. Non, une coulée pure, l'allure de la glace qui fond au fond de l'assiette et avance sans se presser, ou alors en élevant notre point de vue, un astronaute qui de très haut observerait cette traînée flamboyante de limace qui se hâte avec lenteur sur la courbure de la terre. Mais si vous descendiez à l'endroit exact de cette douce avancée lumineuse, vous seriez confrontés à une lave de volcan qui dévale les flancs abrupts d'une montagne, qui se rue à travers champ, sur les hameaux, sur les villages, sur les villes qui s'engouffrent en torrents de feux dans les larges avenues et détruisent, voitures, maisons, hommes, femmes, enfants, dans un bruit apocalyptique étourdissant. Tout ce qui précède n'est qu'une image. Nous pourrions la qualifier de nietzscheénne, en le sens où elle prophétise notre passé et notre futur. Car notre futur a débuté, il y a très longtemps, au moment où l'homme s'est retiré de l'homme, le barbare est dans l'être humain, les hordes faméliques ne viennent qu'après, une fois que l'on s'est endormi dans notre confort, que l'on n'a plus l'envie de préserver l'empire que nous avons bâti. La voix épelle calmement la généalogie de nos errements, de nos démissions, que personne ne veut plus entendre. Ce n'est que sur la piste douze que d'étranges reptations bruiteuses atteignent nos oreilles. La race des Seigneurs n'est que celle des esclaves. Les punks nous disent le même message, lorsque ils lancent le slogan, no future. Mais cela se passe quand les chiens ont déjà envahi le royaume, depuis longtemps. Ange-Mathieu Mezzadri se réclame de la pensée mythologique de Jim Morrison. Nous sommes à l'exacte moitié du poème, la voix craquelée, se brise de temps en temps, sacrifices humains, meurtre et viols, cela viendra. Ce que nous n'avons pas su garder, d'autres le rebâtiront, et la roue tournera et reviendra. Pirouette finale désinvolte, tout recommencera à la fin du voyage. L'homme ne peut se tenir droit trop longtemps. Sa propre stature l'écrase. Il finira par ramper comme l'esclave en devenir. qu'il a toujours été. Dio Vi Salvi Regina : flûte ! Intermède lyrique, une flûte agreste s'élève, Que Dieu te garde reine de la patrie, ou God save the queen, c'est du pareil au même. Pipeau ! Les racines du militant corse Mezzadri affleurent. Bordel mexicain : que serait le rock'n'roll sans le sexe. Pas de panique, la terre est partout un bordel mexicain, si vous vous ennuyez à mâchonner des sexes, essayez le viol et le meurtre. Faut bien pimenter la vie. C'est qu'à force de vivre dans le bordel généralisé de la planète, l'on ne sait plus à quels seins se vouer. Nous n'inventons que des dieux obscènes et n'aimons que les pacotilles manufacturées. Quelques bribes d'harmonica ne nous rassurent guère sur l'état de notre guerre intérieure que nous avons déjà perdues. Les idoles sont à déboulonner, Oscar Wilde, et les politichiens et le poëte aussi parce que le réel phantasmatique arrivé et avéré est bien plus dense et coruscant que le plus beau de ses vers. Ne gêne plus dans le paysage. L'inversion des valeurs marche dans les deux sens. Marché aux puces : si vous avez peur d'entendre l'horrible révélation de votre présent, reportez-vous aux Tableaux Parisiens de Baudelaire, il est indéniable que les fleurs du mal de ces croquis rock & roll dégagent des senteurs plus âcres, qu'elle dévorent les êtres sans rien leur laisser que leurs misères, qu'il n'y a pas d'issues, ni de pardon, ni de rédemption, ni de remords, uniquement de la cruauté aussi flasque que vos désirs. Le marché aux puces n'est qu'un marché d'esclaves. On y vend les chaînes que certains ne parviennent même pas à s'acheter. Au bout de l'horreur que reste-t-il si ce n'est ce Chroma : dépassé que l'on surnomme rock & roll, c'est fou comme une bouffée de hard mélodique fait du bien au moral. '' Rock is dead '' : le rock est mort, nul besoin de longues et minutieuses analyses musicales, le métro et ses bataillons d'esclaves disciplinés le démontrent à l'envi. De temps en temps une courte plage musicale, style générique film de gangsters-rock, l'on espère encore la révolution et ses brutalités, mais ce sont les hordes barbares de bikers, ce n'est plus l'ange Mezzadri, mais les anges de l'enfer qui châtient les chapons de bourgeois châtrés par leur propre goinfrerie, le générique s'étoffe, l'envie de tuer, d'assassiner, le goût du crime odieux, les vainqueurs le proclament, mais tout cela n'est peut-être que phantasmes qui s'avachissent dans la fumée des joints. Le rock est-il résurgence des antiques légions romaines, les hordes chevelues qui se constituent sont-elles le signe d'une renaissance, la musique rythmique embraye la piste, se diversifie, se colorise, la voix sur la guitare, et toute une imagerie séculaire de violence tournoie sans fin, est-ce cette brutalité que charrie le rut du rock ? Bouncing balls : rififi de riffs infinis.
Peu d'instrumentation en fin de compte. Pourtant vous ressortez de là, comme de l'écoute d'un disque de Metal particulièrement agressif. Encore plus surprenant les textes sont formés de poèmes rimés et la lecture mezzadrienne fait tout pour que la rime classique claque à vos oreilles. Pas question qu'elle passe inaperçue. Ces Croquis Rock & Roll, n'ont pas à mon humble connaissance d'équivalent dans le rock'n'roll français, seuls quelques rappeurs se sont aventurés à de telles violences, s'il fallait les rattacher à un moment précis de la lyrique française, ce serait aux évocations des civilisations écroulées de la poésie parnassienne, l'adresse Aux Modernes de Leconte de Lisle et aussi aux trois volumes du Vicomte de Guerne intitulés Les Siècles Morts. Toutefois les alexandrins rutilants du Parnasse ont une ampleur, un poids et un impact bien plus puissants que les vers trop banvilliens d'Ange-Mathieu Mezzadri. Aurions-nous perdu jusqu'au sens de la beauté nous soufflerait Ange-Mathieu Mezzadi...
Ce disque ravira ceux qui aiment errer aux lisières, aux confins, aux orées qui débouchent sur d'autres mondes.
Damie Chad.
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Les groupes de rock apparus dans Kr'tnt ! le temps d'un concert ou d'un disque continuent leur chemin de leur côté, profitons de ce confinement dépourvu de prestations scéniques pour rendre visite sur leurs sites à des artistes qui nous ont vivement impressionnés les mois ou les années précédentes, après Blondstone et Justin Lavash, nous quittons la douce France pour la Russie tumultueuse.
Le concert de Jars à la divine Comedia le 21 novembre 2019 ( voir notre livraison 439 ) fut un des plus beaux et des plus violents auquel nous avons assisté, le surlendemain Jars était rentré à Moscou. Pour ceux qui aiment à chercher noise à la noise-music le bandcamp de Jars vaut le détour. Nous chroniquons ici, les deux derniers enregistrements qui ont été ajoutés depuis notre précédente visite. Nous y joignons une vidéo prise sur You Tube. Jars n'est ici représenté que par Anton Obrazina ( parfois transcrit Obrazeena ) son guitariste, en compagnie à chaque fois d'un ou plusieurs partenaires aussi aventureux que lui dans la transe sonique.
Pitié pour nos traductions sûrement aberrantes puisque nous ne connaissons pas la langue de Lermontov...
LIVE AT T-MODEL
MASSACRE
Anton Ponomarev +Anton Obrazeena
Enregistré le 12 Octobre 2018 au Model-T, club situé à Moscou. Anton Ponomarev saxophoniste et responsable du matériel électronique, Anton Obrazeena à la guitare.
Soif nauséabonde : en douceur si ce n'est ces poinçons de cordes suivies de tirs électroniques sur vos zones de réception auditive, tout cela reste très doux, malgré ce semblant de saxophone réticent qui rampe dans un souterrain, au loin de terribles explosions et des rafales incessantes de kalachnikovs, qui êtes-vous en train de tuer sur votre écran mental, cela a l'air de se passer si loin, un film de guerre qui passe à la télévision dans une autre pièce, toujours cette étrange douceur, le saxophone crie comme une plaque de zinc que le vent secoue, cela s'accentue, et ce rythme de lenteur qui emmène avec lui cette impression d'ouate, alors que le sax s'égosille, lance-t-il un appel au secours ou imite-t-il le bruissement insupportable à votre esprit de votre âme qui rampe sur le plancher, maintenant il s'époumone tel un asthmatique qui manque d'air, fermez les yeux, décrochez mentalement, c'est ainsi que l'on survit dans l'insupportable angoisse de la frousse à vos trousses. Le danger se rapproche, le sax crisse, imite le grincement des patins à glaces, maintenant le son se coule à vous, vous enlace, impossible de s'en défaire, une spirale qui s'enroule autour de vote corps, le serpent prêt à insinuer sa langue chignole dans votre cerveau, est-ce vous qui poussez ces cris de porc égorgé toujours sur cette lente procession, que vous identifiez à votre propre marche funèbre, des moustiques géants s'acharnent sur votre cadavre et vous ressentez leurs trompes fouisseuses qui n'arrêtent pas d'excaver le néant dans le réseau de vos artères, le son avance, très lentement à la vitesse d'un rouleau compresseur, d'une charge de cavalerie au pas, dont vous ralentissez la vitesse sur votre magnéto, ne ne sont plus qu'une armée de fantômes hurlants qui accourent sur vous implacables, vous martèlent les chairs et vous entendez vos os crier sans fin, une agonie avec ses montées d'adrénaline, l'animal inconnu qui progresse au loin dans le terrier de Kafka, l'anéantissement se rapproche, le son devient plus ample un générique de fin du monde, ce bruit de robinet est-ce la vie qui vit ou l'eau du néant qui s'engouffre en vous et vous remplit comme une outre pour que vous puissiez passer outre, bruit de poutrelles découpées au chalumeau, résonance de cordes de guitare pour vous ramener à la mort. Coups de maillets incertains, tout s'amenuise. Battements ultimes de la mécanique d'un cœur détraqué qui s'arrête définitivement.
Magnifique, splendide oratorio qui se prêtera à toutes les variations les plus aventureuses de vos idées noires. Ode à la mélancolie humaine.
MASSACRE
Anton Ponomarev +Anton Obrazeena
29 octobre 2018 / Vidéo
Le même morceau – simplement un extrait de huit minutes -enregistré non pas dans la salle de réception du Kremlin, mais dans la cuisine désaffectée du Manor, vidéo enregistrée le 19 décembre 2018, ce qui explique sur les toutes premières images, ces visions fugitives de fresques ou d'icônes décolorées et ces empilements de casiers de tasses à café. Dans les notes nous apprenons que Anton Ponomarev est saxophoniste dans le quartet d'avant-garde-no-jazz nommé Brom ce qui signifie Bruit. Massacre se situe dans la suite d'un Stephen O' Malley – experimental metal-doom-death ou d'un Mats Gustafsson saxophoniste explorant avec son instrument les poreuses frontières aux limites du rock, du noise et de l'expérimental...
Cette vidéo permet de pénétrer dans la cuisine de ces faiseurs de sons qui travaillent la pâte sonore. Rien de bien spectaculaire, des espèces de bricolos plutôt relax, Ponomarev agenouillé à terre qui manipule les boutons de tout un jeu de pédales, l'a un petit air affairé d'ado sur sa console de jeu, l'on se demande si toutes ces actions répondent à une espèce de partition mentale ou s'il se laisse guider par l'inspiration et le hasard. Obrazeena un œil sur la guitare posée à plat sur un réchauffe-plat et l'autre sur son outillage pédalesque, parfois du doigt il influe sur le son en touchant une corde. Maintenant il est debout, passe ce qui ressemble à un simple couteau de cantine sur l'ensemble du cordier, même s'il a plutôt l'allure d'un pâtissier s'affairant sur une plaque de cuisson prête à être enfournée il ne fait que répéter l'antique geste des vieux bluesmen caressant de leur goulot de bouteille cassée leur guitare et plus avant peut-être ces premiers fils de fer que les noirs fixaient sur le mur en planche de leur baraque pour par frottements successifs en tirer des effets de dégradations sonores. Ponomarev s'est redressé, il souffle maintenant à plein gosier dans son saxophone, se courbe en arrière, se penche en avant, cherchant à expulser le mamba noir du son tapi au fond de ses entrailles. Des vagues successives nous assaillent, des avions de chasse se perdent dans le lointain, vision finale d'une planète fluctuante qui n'est que l'eau d'un bac à vaisselle qui remue, les bulles produites par la mousse d'un produit nettoyant, évoque la multitude des astres de la voûte ouranienne, un reflet mallaméen de lumière scintille comme s'il voulait témoigner que s'est d'un astre en fête allumé le génie...
JARS + POZORI
( Mai 2020 / Enregistrement maison )
Anton Obrazeena + Lena Kuznetsova
Pozori est un groupe de Tomsk ( région sud-est de la Sibérie ) que l'on pourrait qualifier de post-atomic-industrial-noise. D'après ce que nous avons pu glaner comme renseignements ils tournent pas mal et leur premier album Sexiste publié en février 2019 fut décrété disque de l'année. Nous ignorons par qui. Pozori signifie Honte, peut-être les synonymes Opprobre et Confusion qui sonnent beaucoup mieux en français rendent-ils comptent de la signification du terme russe ?
Violences domestiques : lourde rythmique, ronflements de guitares, Anton s'occupe de la boîte à rythme, de la guitare, de la basse et du synthétiseur, Lena Kuznetsova s'est contentée de chanter – on ne peut pas dire que le partage des tâches soit très égalitaire, mais je n'en dirai pas plus, sa voix grave n'incite pas à la plaisanterie. Revendication féminine ! A son timbre de colère rentrée et d'ironie amère vous comprenez qu'elle règle ses comptes, est-ce une diatribe théorique ou la mise au point d'une aventure individuelle, nous pencherions plutôt pour la première hypothèse, d'après ce que nous avions pu comprendre, certains termes – c'est elle qui écrit les textes - proviendrait d'une vieille comptine russe. La typologie du morceau n'a rien à voir avec les expérimentations de Massacre. Ici nous sommes prêts d'une chanson non pas réaliste mais qui emprunte à la mimétique du réel des effets d'une écriture empreinte d'un formalisme que nous définirons de russe pour rester fidèle à la couleur locale. Homme conventionnel : musique davantage indus, et la voix de Léna presque mutine qui jure bien avec le son touffu, un long pont d'orchestration plus rock, mais l'indus reprend, tambourinades davantage appuyées, puis tapotements et nouveaux éclats, Léna la sorcière jette ses imprécations, le morceau se termine en une terrible jactance répétitive. Léna crache son mépris aux hommes engoncés dans les archétypes du machisme.
Ce qu'il y a de bien avec les groupes russes, c'est que dès que vous commencez à vous intéresser à l'un d'eux, de nouveaux se présentent, la scène rock-punk-metal-noise a l'air d'être en pleine ébullition. L'entraide et la collaboration semblent être les moteurs essentiels de cette mouvance underground. Quant à Jars, j'adore leur slogan '' Nous sommes Jars, vous êtes pires que nous'' ils sont sur la deuxième compil d'InsurrecSound ( voir ci-dessous ) et le 11 décembre 2020 ( enfin, incroyable mais véridique, une évènement musical qui n'est pas reportée sine die ) sortie de leur nouvel album !
Бытие на нож
( Sur le fil du couteau )
JARS
Difficile de quitter Jars. Jamais j'arsrrête ! Une dernière vidéo. Pas bien longue. Dépasse de dix secondes les deux minutes. Assez pour faire écrouler la tour de Pise. Enregistré en live au D. T. H. studio. Frustre. Très frustre. Toutefois rien de misérable. Rien de sale. Le frustre russe cancérique n'a rien à voir avec le frustre visqueux de chez nous. Il est froid. Glacé. Inaltérable. Peut-être pour le comprendre faut-il d'abord regarder la vidéo Meht. Une mise en scène. Des jeunes aux regards figés. Engoncés en eux-mêmes. Qui entrent dans un club. Jars joue. Sur la piste des jeunes vus de dos pogotent, autour d'eux des regards vides qui regardent. Nous en suivons un encore plus frigorifié que les autres, comme s'il était saisi dans un énorme glaçon-cercueil-mental invisible. Nous le suivons de chez lui au club et puis du club à chez lui. Une vie vide dans un appartement vide. Ne cherchez pas? c'est un flic. Un homme pétri de contradictions, un militaire en mission d'observation et de surveillance ? Nous n'en saurons rien. Il est comme tous les autres. Qui est qui ? Le clip fait froid dans le dos. Rien d'exceptionnel au niveau filmique. Ce n'est pas Eisenstein qui tient la caméra, mais la vidéo vous pétrifie. L'on sent une société d'une dureté extrême. La méfiance est partout. Sur la piste rien à voir avec les pogos festifs de chez nous. On ne joue pas collectif. Quelque chose de dur et de cassant. Une société de surveillance. Chacun dans sa paranoïa. Donner à chaque instant l'illusion que l'on ne pense pas plus haut, et même pas plus bas, que le geste que l'on est en train de faire. Sur le fil, sur la crête, prêt à tomber, c'est cette musique que joue les Jars. Puissante, simple, hypnotique, et en même temps le tourbillon de lave, le volcan qui bout en vous, qui éclate, mais celui qui est à côté de vous, qui subit les mêmes éruptions ( peut-être ), ne doit pas le savoir, ni s'en apercevoir, ni même le subodorer. Une musique chargée de haine. Tout ce que vous tuerez ( en vous et chez les autres ) vous rendra plus fort.
Positivons : vu la vitesse avec laquelle notre société se transforme en état policier, nous aurons bientôt nous aussi des groupes aussi puissants que Jars.
Damie Chad.
INSURRECSOUND
What is it ? It's french my dears ! C'est quoi au juste ? Une association ou un label , les deux mon général. D'abord une association, et comme il n'y a pas de hasard en ce bas monde, elle vit le jour à Montreuil, première cité rock de France. Elle a été fondée le 02 juillet 2020. Elle n'est pas vieille. N'est pas née comme ça par opération du Saint-Esprit, car même le chiendent et l'ivraie ont besoin de mauvaises graines pour proliférer. Une idée qui traînait dans plusieurs têtes pas tout à fait la même à chaque fois, mais qui se débrouillait pour toujours souffler du même côté.
Le nid originel de prolifération est connu. Kr'tnt n'a pas failli à sa mission d'information, on en rendait compte, une analyse fouillée dans sa livraison 472 du 09 / 07 / 2020, juste avant les vacances d'été, une compilation de quatorze titres, rien que l'appellation générique aurait dû vous mettre le mammouth à l'oreille, Nasty Nest, une espèce de nidification de frelons non asiatiques, que du punk-rock bien de chez nous. Elle est arrivée un peu en retard because le confinement, mais in nitro veritas comme disait Jules César.
L'appétit vient en faisant la cuisine. L'objet était trop beau. L'envie de recommencer s'est manifestée. Une seule pomme vous pourrit tout un panier, c'est bien connu. En mieux et en couleur. Donc création d'une association et germination spontanée d'une seconde antho. Exit le blanc et noir pour la couve et le dedans, un truc flashy qui vous arrache les yeux, on a surélevé de quatre étages le nombre des titres, et puis l'on a vu grand, fini les gaulois, le côté Astérix franchouillard dépassé, le concept a été élargi, pas encore à l'univers mais à la planète entière, des groupes de partout, du Mexique, de la Finlande, de la Belgique, de la Russie, de l'Argentine, et d'ailleurs, jusqu'à la France... Si vous n'y croyez pas, passez sur Bandcamp, vous pouvez écouter la face A du disque, et laisser une modeste obole pour la concrétisation du projet. Pour ceux qui veulent faire partie de l'équipage, découpez le bulletin d'inscription qui s'affiche ci-dessous et renvoyez-le z'a l'adresse z'indiquée.
Jusque-là tout va bien, ensuite ça va mieux, ou pire, tout dépend de vos goûts musicaux et de votre orientation, non pas la sexuelle, la politique, c'est un peu à la gauche de la gauche, pour le dire blanc sur noir anarchie... trois projets en direction de l'Europe de l'Est, notamment une anthologie de groupes punk de l'ex-Yougoslavie qui s'érigèrent contre les dérives nationalistes, et qui refusèrent de rejoindre les armées de leur soit-disant appartenance ethnique.
Vous trouverez les document idoines sur le FB : Kr'tnt Kr'tnt au-dessous de l'annonce de cette livraison 486. Damie Chad.
Damie Chad.
IX
ROCKAMBOLESQUES
LES DOSSIERS SECRETS DU SSR
( Services secrets du rock 'n' rOll )
L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS
Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.
Lecteurs, ne posez pas de questions,
Voici quelques précisions
35
Je l'avoue honteusement, alors que les trois chiens semblaient devenir les meilleurs amis du monde, Thérèse et moi, profitant d'un épais fourré du square nous commîmes l'immonde péché de l'acte de chair. Nous étions prêts pour une deuxième fournée, j'emprunte cette tournure si romantique aux Contes drolatiques d'Honoré de Balzac, lorsque la voix du Chef nous arrêta net en nos élans priapiques.
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Agent Chad, où vous êtes-vous encore fourré, sortez-moi de de ce guêpier, et allez me voler de toute urgence un camion à plateau, dépêchez-vous, c'est urgent, le sort du monde en dépend !
36
Pendant que je m'acquitte brillamment de ma mission, j'invite les lecteurs à lire les premiers feuillets d'Eddie Crescendo retrouvés dans la boîte à sucre.
'' Quand je regarde le monde s'agiter autour de moi, je me rends compte combien je suis éloigné des vaniteuses turpitudes de mes contemporains. Souvent je n'arrive pas à le croire, pourtant le moindre de mes gestes me le confirme, je ne suis pas comme les autres, je suis décalé !''
Suit un ensemble de six feuilles où le mot décalé est répété trois cent soixante huit fois, écrits rageusement ou soigneusement calligraphié, sous forme de colonnes ou jetés de travers un peu partout, en minuscules ou en majuscules.
37
Je vous laisse à vos méditations. Le Chef avait raison, la journée s'annonçait fatigante. Il me fallut transbahuter les huit tonnes de cigares que nous avions entreposés au rez-de chaussée sur le plateau du camion que je m'étais procuré sur un chantier.
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Chef, pourquoi n'avons-nous pas gardé le camion qui est venu les livrer, il nous suffisait de nous débarrasser du chauffeur, d'enterrer son corps dans le jardin, et...
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Agent Chad, cessez vos stupides récriminations, quand vous aurez fini, vous descendrez à la cave, vous m'en rapporterez la chaîne dernier cri sur lequel Alfred écoute ses disques, j'ai vu qu'elle est équipée d'un micro, cela nous sera utile.
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Chef, je ne comprends rien à...
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Agent Chad, si au lieu de batifoler dans les hautes herbes vous aviez pris le temps de vous plonger dans le numéro 2037 de la Série Noire, sans doute seriez-vous capable de comprendre !
Je sursautais, le bouquin était encore dans ma poche. Saisi d'un doute post-cartésien je me précipitais dans la bibliothèque. Je piochais de-ci de-là un livre sur les étagères, à chaque fois sous une fausse couverture je trouvai un exemplaire de L'Homme à deux mains d'Eddie Crescendo !
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A table !
C'était Alfred qui nous appelait pour le repas.
38
Pendant qu'Alfred faisait la vaisselle nous tînmes conseil au fond du jardin. Le Chef alluma un Coronado et prit la parole :
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Autant que je puisse en juger l'affaire qui nous préoccupe est d'une simplicité extrême.
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Ouah ! opinèrent les deux chiens.
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Entièrement de votre avis Chef, prenons par exemple le mystère de la fameuse boîte à sucre, elle contient exactement 368 sucres, vous ne pouvez pas en ajouter un autre, or Molossito a trouvé le 369 ième dans l'escalier de la villa, ce qui signifie que ce qui impossible partout ailleurs est possible dans cette villa.
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Que comme par hasard Eddie Crescendo a louée, comme vous l'avez découvert, je me permets de vous le rappeler, agent Chad.
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Or cette maison est sujette à d'étranges phénomènes, un jour elle est habitée, le lendemain elle est inhabitée depuis quinze ans, qui plus est peuplée par des réplicants !
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Avec qui vous semblez être en de très courtoises relations, agent Chad
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Certes Chef, mais la devise du Service n'est-elle pas Sexe, rock'n'roll et Coronado !
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Ne nous égarons pas, agent Chad, pendant que j'allume un Coronado, poursuivez votre raisonnement !
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Or nous savons que dans ses notes Eddie Crescendo a écrit trois cent soixante huit fois le mot décalé, et si nous comptons bien une trois-cent soixante-neuvième fois dans son introduction. Nous pouvons donc en conclure qu'Eddie Crescendo se trouve dans la situation de ce morceau de sucre qui est... comment dire... par rapport aux autres...
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Décalé ?
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Décalé, oui c'est cela, Chef, vous avez le mot juste !
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Agent Chad, nos remarquables analyses sont en pleine progression, toutefois il reste encore un obstacle majeur à franchir. Tout comme Crescendo nous sommes venus dans cette maison, franchement entre nous, vous sentez-vous particulièrement décalé, pour ma part je répondrai non !
Je n'eus pas le temps de réfléchir à une réponse. Molossito se mit à pousser jappements sur jappements ! Une silhouette se profilait devant la grille.
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L'homme semblait hésitant. Les mains dans les poches d'un vaste imperméable il lançait de tous côtés des regards fuyants d'un représentant de commerce qui en aurait été manifestement à son quarantième refus. C'est en m'approchant que je compris qu'il avait peur des crocs retroussés de Molossa qui tapie derrière un pot de fleurs semblait prête à lui sauter dessus pour l'égorger.
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N'ayez pas peur, c'est une tueuse redoutable mais elle n'est pas méchante !
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Oui une belle bête, mais les chiens ne m'aiment pas, c'est... C'est comme ça... je n'y peux rien !
Le gars se tut. Il était mort de trouille. Il me faisait pitié...
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Je... je m'excuse de vous déranger... mais... mais je crois que vous m'avez appelé... alors je suis venu...
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Je ne vois pas du tout, nous n'avons demandé les services de personne, peut-être vous êtes-vous trompé de numéro, nous n'avons besoin de rien !
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Si... si vous avez besoin de moi... spécialement de moi, vous et... et votre ami qui fume des Coronados !
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Enfin Monsieur, que voulez-vous, expliquez-vous et d'abord qui êtes vous ?
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Mon nom ne... ne vous dira rien, je... je suis... l'homme à deux mains !
Et le gazier les sortit de ses poches, il avait deux mains au bout de chaque bras, et, je frissonnai lorsque ses vingt doigts se refermèrent sur quatre barreaux de la grille !
( A suivre... )
09:28 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : marty wilde, bob dylan, mezzadri brothers, jars + friends, insurrecsound, rockambolesques 9
07/07/2016
KR'TNT ! ¤ 289 : KAREN DALTON / NICO'ZZ BAND / CRASHBIRDS / BOB DYLAN / JAMES BALDWIN
KR'TNT !
KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME
LIVRAISON 289
A ROCKLIT PRODUCTION
07 / 07 / 2016
KAREN DALTON / NICO'ZZ BAND / CRASHBIRDS BOB DYLAN / JAMES BALDWIN |
LE 106 / ROUEN ( 76 ) / 10 - 05 - 2016
SE SOUVENIR DE KAREN DALTON
CONFERENCE
DE
PIERRE LEMARCHAND
TAGADA TAGADA VOILA LA DALTON
Le mec a l’allure d’un étudiant en sociologie, trente ans, quarante kilos habillé, brun, petite queue de cheval, barbe, chemise passée sur un jean indéfinissable, filet de voix douce. Du genre qui ne ferait pas de mal à une mouche, et encore moins à un moustique. Dans les années soixante-dix, on l’aurait certainement traité de hippie. Peace my friend. Il accueille ses amis dans la grande salle du 106 en leur faisant la bise. Il va donner une conférence, tout seul, face aux immenses gradins. Ses amis lui demandent : «Ça va ? Pas trop tendu ?». Il avoue juste un peu de stress. C’est vrai qu’il n’a rien d’un tribun. On s’inquiète pour lui. On parierait même qu’il va bégayer et parler d’une voix blanche. Se trouver dominé par un public installé en hauteur, ce doit être déjà très spécial, mais vouloir évoquer la mémoire d’un personnage comme Karen Dalton, c’est une façon de donner le bâton pour se faire battre.
Il s’appelle Pierre Lemarchand. Il vient du publier une bio de Karen Dalton au Camion Blanc, «Se Souvenir Des Montagnes».
Ce micro-événement dérisoire résulte de deux formes de courage : celui d’un auteur qui mène l’enquête pour redonner vie au souvenir d’un personnage infiniment romantique, au sens où le fut Johnny Thunders, via l’héro, et celui d’un éditeur qui continue envers et contre tout à publier des ouvrages qui ne se vendront pas, mais qui auront le mérite d’exister. Dernier exemple en date, les Hellacopters. Bravo !
L’auteur attaque sa conférence avec la projection d’une petite vidéo artisanale. Il veut que le public «passe par mon point de départ». Ce court film de quatre minutes fut tourné par des journalistes français et inclus dans un docu plus important consacré à la contre-culture. On voit Karen Dalton se promener dans les bois du Colorado et chanter un blues avec la voix de Billie Holiday. On note au passage qu’il lui manque des dents. Rien qu’avec ces quatre minutes, l’auteur a conquis son public. Personne ne peut rester insensible à ce chant de sirène surgi du passé.
Il mène sa conférence avec une sorte de feu sacré. On le sent possédé par son sujet, et en même temps, on sent poindre le côté rasoir de l’amateur de folk. Il évoque longuement le versant bucolique de la vie de Karen, les années passées au Colorado, les jours heureux, les cabanes de mineurs et petite cerise sur le gâteau, il se complaît à lire de généreux extraits de son livre. Sa prose coule comme l’eau fraîche d’une rivière à travers la vallée du bonheur. Il est tellement possédé par son sujet qu’il prête des pensées à Karen Dalton. Exercice périlleux dès lors qu’on se trouve dans le pré carré de la bio. Le jeu consiste à ne pas mordre le trait. Il existe des terrains de jeux où c’est possible, comme par exemple la fiction. Mais pas la bio.
On craint le pire. Karen Dalton n’a rien de la folkeuse bon chic bon genre. Il faut attendre l’évocation du retour de Karen à New York pour renouer avec la réalité de la légende. Il semble que l’auteur ait du mal à évoquer l’héro car il n’en parle que tardivement, comme s’il était obligé de le faire. Oui, Karen Dalton est une junkie à la new-yorkaise et ses meilleurs amis aussi : Tim Hardin, rentré du Viet Nam avec l’héro, et Fred Neil, junkie notoire. C’est une grande banalité dans le milieu artistique new-yorkais et dans ce qu’on appelle la bohème des années 50/60/70. Comme le rappelle Martin Rev dans une interview, à cette époque, tous les new-yorkais prennent de la dope. New York est alors redevenue la capitale artistique du monde. La ville bouillonne d’énergie et de créativité 24 heures sur 24.
( BOB DYLAN / KAREN DALTON / FRED NEIL )
De la même façon que Fred Neil, Karen Dalton semble vouloir fuir les feux de la rampe. Comme Fred, elle préfère jouer dans des petits clubs et rester au contact des gens. Il existe des enregistrements plus ou moins officiels de Karen Dalton sur scène. Ce sont des documents un peu âpres, pour ne pas dire insupportables. Le conférencier en fait écouter deux ou trois extraits, au risque d’écrouler tout ce qu’il avait patiemment élaboré. Ces extraits mal enregistrés sont de véritables tue-l’amour.
Karen Dalton finira par accepter d’enregistrer en 1969 un premier album, le fabuleux «It’s So Hard To Tell Who’s Going To Love You The Best». Pierre Lemarchand en passe un titre, une reprise du «Little Bit Of Rain» de Fred Neil (qu’on trouve sur son album «Bleecker & MacDougal»), et d’une certaine façon, il sauve sa conférence en donnant une réelle crédibilité artistique à son héroïne : hit imparable et interprétation bouleversante. Et là, on entre dans un monde, un vrai. Avec une jolie profondeur de champ, comme dirait Jo le photographe. Bienvenue dans la romance new-yorkaise, dans cette poésie urbaine de la nuit hantée par les fantômes de Bird et de Miles Davis.
C’est en effet «Little Bit Of Rain» qui ouvre le bal de cet album devenu culte. Karen Dalton chante à la manière de Bessie Smith, avec une voix de traîne profondément languide. Aucune chanteuse ne va aussi loin qu’elle dans le style papier mâché. Elle récidive dans «Sweet Substitute», avec une extraordinaire vibration de voix fêlée, avec une résonance de black de bar de jazz, car c’est suivi par l’immense Harvey Brooks à la basse. Karen Dalton chante au plus profond du feeling organique, dans l’esprit fantomatique qui caractérisait si bien les dérives vocales de Billie Holiday et de Bessie Smith. Lorsqu’elle entre dans «Ribbon Bow», sa voix semble à l’abandon. Elle chante la partance de la désespérance avec une voix d’angle biaisé. Elle rend le chant complètement immobile, comme suspendu. On reste dans la profondeur du désespoir avec «I Love More Than Words Can Say», un hit signé Eddie Floyd et Booker T. Jones. Elle chante à la Billie, c’est merveilleusement tremblé et sensible. C’est là que ça se joue, chez Billie. Karen finit par exercer une espèce de fascination. Elle tape dans le blues du style when the sun goes down avec «In The Evening». Retour aux années antérieures, à l’âge d’or du jazz de bar et puis elle revient à son copain Fred Neil avec l’excellent «Blues On The Ceiling». Quelle envoûteuse ! - I’ll never get out of this blues again - Harvey Brooks l’accompagne à la stand-up. Même shoot que Billie, c’est du blues de smack. Comme le raconte Etta James, Billie s’envoyait toujours un double shoot d’héro avec un grand verre de gin. Avec «It Hurts Me Too», on a certainement l’un des blues les plus purs de l’histoire du blues, et le plus beau cut de Karen Dalton, car la qualité de sa douleur dépasse les bornes. Elle tape dans son autre copain, Tim Hardin, avec «How Did The Feeling Feel To You». C’est jazzé à l’orée du bois. Elle distille le smack de l’aube et de l’espérance. Elle incarne tout ce monde à merveille et elle finit avec un vieux coup de LeadBelly, «Down In The Street» qu’elle pend à bras le corps.
Michael Lang venait d’amasser dollars et notoriété avec son festival de Woodstock et en 1970 il décida de fonder un label, Just Sunshine Records. Il demanda à Harvey Brooks de s’occuper de Karen qu’il voulait absolument sur son label. Un an plus tard paraissait «In My Own Time», un album encore plus culte que le précédent, pour au moins trois raisons, à commencer par ce chef-d’œuvre qu’est «Something On Your Mind», chanté à la patate chaude. Karen explose ses syllabes au groove des collines du Midwest. Elle atteint une sorte de démesure de la beauté formelle. Son chant fait tout le mucus argenté de sa légende. C’est d’une rare puissance et comme filtré au violon. The hippest chick on the set, disait d’elle Peter Stampfel des Holy Modal Rounders. L’autre énormité de cet album, c’est la reprise du fameux hit Tamla «How Sweet It Is (To Be Loved By You)». Elle se livre à une incroyable dévoration du groove. On assiste en effet à la prestation d’une mante religieuse qui dévore Tamla après la copulation, mais elle dévore Tamla de l’intérieur. Encore de la pure magie avec «Are You Leaving For The Country». Sa mère était Cherokee mais son père devait être un ange irlandais, car il se produit avec cette chanson quelque chose d’unique dans l’histoire de la musique américaine. Oh mais ce n’est pas fini ! Karen fait aussi une monstrueuse reprise du «When A Man Loves A Woman» de Percy Sledge. On appelle ça une cover extrapolatoire. Elle chante comme Donald qui se pincerait le nez s’il en avait un. C’est atrocement bon. Elle est dessus. Elle ne se répand pas comme le grand Percy, non, elle va au contraire chercher le fin du fin de la pure désespérance. Elle chante ça à l’extrême pointe du feeling indien, comme savait aussi si bien le faire Buffy Sainte-Marie. Elle tape ensuite un «In My Own Dream» au groove de voix éveillée et revient à son cher papier mâché. Elle lâche du ting de everyting exceptionnel. Si on aime la musique des mots, c’est elle qu’il faut écouter. En plus, c’est groové derrière jusqu’à l’os du genou, au pur beat de jazz motion et battu à la ramasse fatidique. «Katie Cruel» fait partie des chansons qui fascinent Nick Cave. Karen chante ça à la voix perdue et s’accompagne au banjo famélique. Et puis on se régalera aussi de «Take Me». Elle fait vibrer les accents de sa voix dans une nuit d’encre. Cette femme est belle et même beaucoup trop belle. C’est à l’entendre qu’on comprend qu’elle était devenue inaccessible.
Signé : Cazengler, daltonien
Conférence «Se Souvenir de Karen Dalton». Pierre Lemarchand. Le 106. Rouen (76). 10 mai 2016
Karen Dalton. It’s So Hard To Tell Who’s Going To Love You The Best. Capitol Records 1969
Karen Dalton. It’s My Own Time. Just Sunshine Records 1971
SEZANNE / 02 - 07 - 2016
NICO'ZZ BAND
Pas besoin de rechercher désespérément Sézanne. C'est tout droit, quarante kilomètres de Provins, n'y ai jamais posé les talons de mes two-tones shoes pour la simple et bonne raison que je n'en porte point, mais aussi parce les ronces noires du destin qui gouverne ma vie ne m'y ont jamais appelé. Mais ce soir, je suis motivé, la faute à Pascal Seher - l'homme qui photographie systématiquement tous les évènements musicaux de la bonne ville de Troyes, qui la veille y a vu le Nico'ZZ Band, les couvre d'éloges et affirme qu'ils seront ce samedi soir en terre champenoise, à Suzanne.
La teuf-teuf bougonne, vient d'enfiler en ligne droite deux kilomètres de maisons basses aux façades grisâtres, lorsque une barrière métallique au milieu de la chaussée interdit toute progression. Virage d'équerre à quatre-vingt dix degrés, nulle crainte, les anges nous protègent - bien que nous nous préparions à écouter la musique du Diable - nous ont réservés une place de stationnement face au porche de l'Eglise.
Place de la République, pavée, devant la maison de Dieu dans sa froide robe de pierres, vous ne manquerez pas d'admirer les ogives un peu décrépites de la façade, levez les yeux pour atteindre les quarante deux mètres de la tour mastoc qui la limite d'un côté, en face la maison des Hommes, le café à la vaste terrasse et aux alcools chauds comme des caresses verlainiennes qui vous attend. La scène est au bas de l'Eglise, un parvis de chaises plastique en demi-cercle s'offre à vos postérieurs.
Peu de monde - le foot à la télé - mais le peuple du blues est là, je ne parle pas de la dizaine de connaisseurs mais de ces familles massées aux premiers rangs et qui arborent les stigmates des vies difficiles sur leurs traits. Les méfaits du libéralisme libéral sont lisibles à visages découverts, une minorité invisible de riches qui s'engraissent et une pauvreté qui s'étend. Il est temps que l'on recommence à brûler les châteaux.
NICO'ZZ BLUES BAND
Neuf heures pile. Le blues band monte sur scène. Formation de base : au centre Arnaud Lesniczek derrière sa batterie, à droite Pascal Dumont qui ceint sa basse électrique, à gauche devant le micro Nico le bootle neck frémissant. Et c'est parti pour presque deux heures de bonheur. Slide grave Nico, un guitariste habité. Surfe sur le blues. Chante, une voix claire et puissante, rien à voir avec la carte postale des larynx enfumés et rongés d'alcool de contrebande des vieux bluesmen assis sur la véranda délabrée dans l'étouffante moiteur du Delta. Ce n'est pas que Nico ne connaît pas ses classiques. Les a assimilés mais les a teintés d'un bleu bien à lui, qui lui appartient. A lui et à sa guitare. Un style qui part de BB King mais qui s'en émancipe dès la première note, la même attaque, mais point de séparation avec la suivante, point de ce vide qui l'isole pour qu'on l'entende gémir à satiété, un long glissé qu'il enchaîne tout de suite, point d'interruption, mais pas de saturation non plus, Nico n'entasse pas, ne donne pas dans le vrac, ne déverse pas le camion benne, il fusèle la fluidité. Les notes se suivent et ne se ressemblent pas, les assouplit les arque comme un dos de panthère qui s'étire les pattes en avant, le cul en hauteur, les yeux étincelants du bonheur de la cruauté de la vie. Impossible de détacher son regard de ses mains, l'on en vient presque à regretter quand il mord les cordes, quand il descend faire un tour dans le public, non ce qui nous sidère, c'est la posture, légèrement arquée, les mains au bas du manche, toute sa chair concentrée, toute cette fièvre focalisée sur son rapport avec le corps de sa solid body, une épure érotique d'une gestuelle retenue mais tendue dans le jet spermicide de cette guitare qui miaule, couine, halète, se déchire et désespère de toute satisfaction extatique apothéosiléthale. Le blues comme le balancement acharné de ces vagues infinies qui moutonnent sur des milliers de kilomètres avant de s'écraser sur une grève sableuse, image marine de l'agonie des blue-notes qui descendent les cercueils de nos illusions dans les fosses communes de nos désespérances. Le blues telle une berceuse, cette Meuse endormeuse dont les vers réguliers et répétitifs d'un Péguy scandent à merveille l'inaltérable balancement de ces flots que le trident de Poseidon lance à l'assaut de nos soubassements vitaux. Le blues ébranle les falaises de nos existences, le blues grignote notre vie. Chaque blues écouté est une cigarette de nicotine qui oblitère dix minutes de notre présence au monde. C'est tout cela que raconte la guitare de Nico. Cette désespération ultime, ce regard vitreux des morts sur la transparence évanouie des spectacles extérieurs. Une petite bise froide parcourt la place, les moustiques nous obligent à nous engoncer dans nos vêtements à caparaçonner nos mains dans nos poches, à entrer encore plus profondément en nous-même, le blues est une lame d'acier bleu qui s'enfonce dans nos entrailles, en douceur et en profondeur. Et ce sont les sorciers à la Nico'ZZ Band qui nous font aimer cela.
Réveillez-vous, sortez de vous mêmes, pauvres escargots humains recroquevillés dans le calcaire de vos coquilles. N'y a pas que le blues dans la vie. Nico'ZZ Blues Band va interpréter ses compos. Du funk à fond. Après le frigidaire mental du blues le calorifère de sa déclinaison tribale. Le funk ce sont les relents africains du blues. On ne joue plus du tam-tam chaque instrument est une percussion. Fêtes du corps, sueurs de sexes. Par deux fois le Band reviendra au funk mais le blues reprendra ses droits, ses doigts sur la guitare.
Nico est un solitaire de la guitare, mais il n'est pas seul. Possède deux compagnons - pas des accompagnateurs - qui lui pavent l'enfer du blues de leur meilleures contributions. Arnaud à la frappe, en même temps sourde et explosive. Puissante mais qui jamais ne se met devant, tout en restant prépondérant dans la stabilité de la chevauchée commune. Je sais que certains suivront le concert sur ces baguettes incandescentes, et ils n'auront pas tort. J'eusse aimé que la base de Pascal fût un tantinet plus fort. Manquait à mon avis d'un brin de résonance pour goûter parfaitement les arceaux, les arcs-boutants et les contreforts qu'il édifia tout le long de la soirée. Un travail d'une précision absolue qui aurait demandé quelques décibels de plus car quel doigté, quel rythme, quel swing, lorsque ses deux acolytes restaient, rarement, silencieux, et que ses seules interventions étaient en même temps la marque de la brisure rythmique et la continuité intrinsèque de ce qui se jouait juste avant la coupure dans l'impact du morceau.
Un très beau concert. Folie froide du blues entrecoupé de hot stuff funk. Je vous l'affirme ces musicos ne sont pas des demi-sels. Ont tenu emprisonné le public, l'ont fait manger dans leurs mains de magiciens. L'ont captivé, l'ont fasciné, l'ont ravi. L'ont autant plongé dans leur solitude existentielle que dans leur appartenance collective à l'espèce humaine.
Suis reparti comblé.
Damie Chad
NO MERCY / CRASHBIRDS
HARD JOB / HE DRINKS LIKE A FISH / BOOGIE NIGHT / STEAMROLLER / ROLLIN' THE SOUTH / NO MERCY / NEON BAR / SPANISH BLUES / + MONEY ( electric version).
DELPHINE VIANE : vocals & guitare / PIERRE LEHOULIER : Lead Guitar & drum / 2013 /
Parfois j'ai des humeurs de galopin, je me hisse dans les frondaisons pour pécho les oeufs dans les nids des oiseaux. C'est ainsi, les rockers sont cruels et sans pitié. Justement l'ovoïde ( un spécimen bizarre, le jaune est sur la coquille ) tout mince ( ce que l'on appelle un oeuf sur le plat ) sur lequel je viens de faire main basse, s'intitule NO MERCY, c'est écrit dessus en gros caractères dans un carré rouge. Y a un avion à gueule de requin lamentablement scratché sur un arbre et les deux corbacs qui contemplent le désastre avec un air hypocrite d'intellectuel atterré. Lorsque Delphine Viane a appris que j'allais le chroniquer, l'a poussé des cris d'orfraie - mais c'est un vieux truc ! Nulle crainte damoiselle odontocète, l'ornithologue distingué Corneille nous l'a appris : aux rocks bien pondus, la valeur n'attend pas le nombre des années.
Hard Job, porte bien son nom, le boulot je le leur laisse, je reconnais que c'est du dur de dur, du rock de rock, cadencé à la Steppenwolf et Miss Delphine qui aboie pour rameuter toute la horde. Un appel irrésistible, brisez les barreaux de vos cages et filez droit dans la fournaise du rock and roll. C'est là où vous serez le mieux.
He drinks like a fish, un truc torride qui donne vous soif illico,vous déconseillerez l'écoute aux anonymes de la ligue des gosiers coincés. L'abus d'alcool de rock est dangereux pour votre santé. Mentale cela s'entend, un morceau qui débloque. Le chant de Delphine est celui de la grande tentatrice. Tétez, tétez mes frères à cette dive bouteille, à cette fiole rabelaisienne du sang du seigneur. Et vous ne nagerez plus en eau trouble.
Boogie Night, chez les Crashbirds la nuit n'est pas faite pour dormir. Genre d'oiseaux nyctalopes à s'agiter dans les branches. Frappent sur les cordes de leurs guitares comme des piverts fous. Quant à Delphine faut le reconnaître : ce n'est pas le chant mélancolique du rossignol, vous réveille le patelin en trois goualantes et le Pierre vous sort des ces notes suraiguës à transpercer les tympans des sourds. Quand le boogie bouge the nigth is not light, comme l'écrivit Shakespeare dans Hamlet, juste avant la scène du meurtre de Polonius.
Steamroller, Encore un truc qui balance, mais à la manière des rouleaux compresseurs, écrase tout devant et aplanit tout derrière, Pierre prend un plaisir sadique à appuyer sur votre carcasse et Delphine aide à la manoeuvre en haussant la voix afin de le guider tout en couvrant le bruit de la machine. A la fin du morceau vous vous sentez comme une descente de lit, et le pire c'est que cet état nouveau ne vous déplaît pas.
Rollin' To The South doit aimer le Sud Delphine, ou le détester. En tout cas ça vous la met dans un de ces états. Garez-vous sur le côté et laissez passer. Pas le moment de la contrarier. Avec les guitares qui conduisent à cimetière ouvert, faut se méfier.
No Mercy, ne venez pas vous plaindre. Vous ont avertis. Pas de pitié, le rock and roll c'est pas pour les demi-portions de vache qui sanglote au moindre coup de catastrockphe. En plus, Delphine hurle qu'elle vient de perdre son contrôle, et vous êtes de ces imbéciles qui n'ont pas d'abri atomique au fond du jardin. Vous êtes cuits. Cuit-cuit croassent les Crashbirds.
Néon Bar, vous vous croyez sauvés puisque vous apercevez la lumière clignotante du bar. N'auriez pas dû rentrer, l'atmosphère est pesante et le whisky a un goût de pisse chaude de cheval fiévreux. Vous en ressortez vivant mais vous ne l'avez pas fait exprès.
Spanih Blues, les zoziaux tricotent à l'espagnole, entrecroisent les guitares comme les banderilles plantées sur le dos du taureau, c'est doux et rose comme la longue ceinture de soie que le torero enroule autour de sa taille. Jusque-là tout va bien, vous vous dîtes que vous parviendrez à survivre, Delphine en profite pour entonner un thrène funèbre, une espèce de flamenco-cherokee qui vous fout les jetons, et puis ils repartent dans un fandangrock de mauvais augure. N'est-ce pas l'annonce insidieuse de votre mise à mort?
+ Money, électric version : se moquent du monde, l'on avait compris que n'était pas de la flûte de Pan. Ou alors panique, l'on pousse le bouton rouge de l'electric chair sur laquelle vous êtes complaisamment assis ! Lehoulier secoue le cocotier, mais vous savez, dès que vous agitez deux billets de dix euros, les filles se transforment en tigresse rugissante. Delphine rugit et vous déchiquette en petits morceaux et pour finir Lehoulier balaie les restes à grands coups réguliers de riffs ravageurs.
En plus ils ont engendré ce monstre sonique tous seuls, enregistrement : composition : Crashbirds, mixage : Crashbirds, production : Crashbirds. Directement du producteur au consommateur. Mais attention ce n'est pas du bio pour les amateurs de sous-développement durable, produit hautement toxique. Superbe, vais en commander une dizaine d'exemplaires et demander au toubib de les utiliser pour remplacer les disques de ma colonne vertébrale. Faut toujours joindre l'utile à l'agréable. En plus la pierre lehoulière, c'est inusable.
Damie chad.
BOB DYLAN
UNE BIOGRAPHIE
FRANCOIS BON
( Albin Michel / 2007 )
Je ne suis pas un fou furieux de Dylan. L'ai davantage entendu à la radio et chez les copains qu'écouté religieusement durant des nuits et des nuits enfumées. Mais le bonhomme a du talent, je le reconnais. Sait écrire. Mais dans ma tête souffre d'une tare rédhibitoire. Lui attribue l'étiquette infamante de folkleux. Ce n'est pas que je n'aime pas le folk. C'est son public qui m'insupporte. Des petits-bourgeois qui ont déboulé dans le monde du rock, comme si avant eux il n'y avait eu rien d'autre. Son côté révolutionnaire, j'adopte la guitare électrique m'a toujours fait rire. Comme si l'on n'avait attendu que lui. Et les imbéciles qui criaient au miracle comme la poule qui découvre un oeuf à la coque. Vous rendez-vous compte, l'avait emprunté l'instrument de ces sombres brutes de rockers. Quel sacrilège, quelle audace ! Shame et scandale dans la Family comme le chantait Sacha Distel.
Par contre j'aime bien François Bon. Généralement il sait de quoi il parle. Quand il écrit, il ne cherche pas à tout dire, l'exhaustivité est un puits sans fond. Plus vous cherchez, plus vous tartinez. Lui, il essaie plutôt de nous faire partager une vision. Pas un mysticisme à la William Buttler Yeats, mais sa compréhension phénoménologique du sujet qu'il observe. Etudie l'implantation de son objet selon ses rampantes racines généalogiques d'occupation des sols existentiels. Dans KR'TNT ! 43 du 09 / 03 / 2011 nous avions beaucoup apprécié son regard sur les Stones, ne se laisse pas flouer par les paillettes du star-system, garde son calme, clame son admiration sans en être dupe.
UN ROCKER
Indéniable dans jeunesse Dylan était un rocker. Lui aurait été difficile d'être autre chose. Dans son trou perdu de Duluth, à l'extrême nord du Minnesota, tout près du Canada, un adolescent ne pouvait entrevoir qu'une porte fantasmagorique de sortie, le rock and roll. Ce n'était pas que le jeune Zimmerman fût particulièrement malheureux. L'était même un privilégié : ses parents d'origine juive et modeste tenaient un magasin d'appareils ménager, ce qui lui permit de posséder une télévision avant tout le monde, plus tard il eut sa moto et puis sa voiture. Ses premières amours musicales le porteront vers vers ce country pré-elvisien d'Hank Snow et Hank Williams. Un très beau départ pour un futur rocker qui s'ignore. Fut comme ses millions d'adolescents traumatisés à vie par l'apparition d'Elvis Presley. Enregistre sur un disque souple Be Bop A Lula de Gene Vincent, eut la chance d'assister à un concert de Buddy Holly, et déchaîna les foudres du directeur de son lycée en interprétant le Tutti Frutti de Little Richard aux paroles non expurgées. Car il fit partie de quelques groupes locaux et s'il commença par gratouiller sur une mauvaise acoustique il passa au bout de quelques mois à l'électrique, et s'acharna durant des jours et des jours pour progresser. L'équivalent de son bac en poche, il taffa quelques temps à Fargo où il eut la chance d'être embauché par l'orchestre de Bobby Vee - qui prit la place de Buddy Holly après le crash. Mais il fut remercié au bout de deux concerts pour incompétence... Ne s'en vanta pas et partit s'inscrire à l'université de Minneapolis.
BLUES AND FOLK
N'y a pas que le rock dans la vie, le blues existe aussi. Dylan en aura la révélation en écoutant Big Bill Bronzy. C'est ce chemin-là qui le dirigera insensiblement vers le folk. Ne fréquente que rarement les cours, mais c'est en cette période qu'il commence à se déniaiser. Pas le corps - c'est fait depuis longtemps - la tête, il lit, il écoute, il apprend. Il discute mais rumine beaucoup aussi. Possède des facultés d'imitation et d'assimilation, il emmagasine, n'explique pas aux autres ce qu'il veut, garçon pensif et refermé qui n'en poursuit pas moins un but que personne ne connaît. L'a racheté une acoustique, s'entraîne beaucoup, n'est pas le plus adroit, mais un des plus persévérants. Cheveux hirsutes, tenue négligée, il ne se soigne pas, n'a pas le temps, fait des découvertes essentielles, lit les poètes de la beat generation, est aux aguets de toutes les nouveautés. Vit dans le milieu folk, on le trouve un peu pesant, le gars que l'on héberge trop souvent, qui fréquente les clubs et les cafés dans le seul but de passer en avant-première des chanteurs confirmés, et qui n'est pas assez bon.
Ecoute Leadbelly, reprend ses chansons et celles de Mississippi John Hurt, est subjugué par l'autobiographie de Woody Guthrie ( voir KR'TNT ! 105 du 05 / 07 / 2012 ), en apprend par coeur tous les morceaux, côtoie Jesse Fuller un blueman noir dont il copie sans vergogne le rythme et l'harmonica autour du cou, assiste à un concert d'Odetta et un autre de Pete Seeger, compagnon de galère de Woody, et enfin une chance extraordinaire : l'attrape une belle pneumonie, qui lui casse définitivement la voix. N'a plus qu'un rêve : New York.
The big apple : janvier 1961, neige, froid et dèche sèche. Chante l'après-midi dans les cafés au chapeau, accompagne Fred Neil sur scène, à l'harmonica, et la rencontre d'Izzy Youg qui tient une boutique d'objets folk plus ou moins d'occasion s'avèrera cruciale. C'est là que Dylan demande au culot à la grande vedette folk Dave Van Rock s'il peut chanter avant son tour de chant au Gaslight, la boîte qui compte. Deviendra un intime du couple Van Rock, les deux hommes s'entraident, discutent, jouent ensemble. Dylan s'élève dans le monde du folk.
Ira visiter Guthrie à l'hôpital. Comme bien d'autres apprentis folkleux, mais les autres ne sont pas devenus Dylan. C'est un adoubement. Une manière de quitter le blues pour rentrer dans la mythographie américaine blanche. L'histoire de l'Amérique, de ce pays parti de rien, de cette immense aventure collective de destins individuels. Guthrie s'est beaucoup inspiré du lot immémorial des chansons populaires, les a retranscrites et adaptées à son temps, les grèves, les luttes sociales. Dylan reprend Guthrie mais il comprend qu'il ne suffit pas d'ingurgiter les chansons du maître, faut les recracher à sa sauce. Autour de Guthrie Dylan rencontre ceux qui tiennent entre leur main le devenir du folk, organisateurs de concerts, éditeurs de musiques, représentants de labels, des personnalités prestigieuses, Alan Lomax, Ramblin Jack Elliott, Paul Clayton, Pete Seeger... Des appuis qui lui permettront de passer au Gerdes le club plus huppé de Mike Porco, en première partie de John Lee Hooker...
Rencontre le couple Farina, John écrivain et amateur des pionniers qui lui soufflera l'idée d'écrire ses propres textes et qui s'est improvisé musicien et agent de sa femme Carolyn Hester pour qui il décroche un contrat d'enregistrement pour Columbia. Pour se démarquer de la grande chanteuse folk Joan Baez, Farina a l'idée d'un retour de teinte country blues. Dylan tiendra l'harmonica. C'est durant ses répétitions qu'un jour se pointe John Hammond, l'homme à qui la musique américaine doit beaucoup de Billie Hollyday à Bruce Springteen... et vlang ! John Hammond, producteur chez Columbia, en ce mois de septembre 61, signe Bob Dylan, guitare, harmo, talkin' boy improvisé, quinze chansons enregistrées en six heures, on en retiendra douze, un Bukka White, un Blind lemon Jefferson, un Curtis Jones - indéniable influence country blues - et des traditionnels, dont The House of the rising sun à l'arrangement piqué à Dave Von Rank.
METAMORPHOSES
( Bob Dylan / Suze Rotolo / Dave Von Rank )
Immobilité et changement. Ne se passe pas grand-chose dans le public. La carrière de notre chanteur est au point mort. Mais Dylan agrandit le chant des expériences. C'est aini généralement que l'on perd son innocence. Suze Rotolo est rentrée dans sa vie. N'y restera que deux ans avec une grosse éclipse. N'est pas du genre à devenir bobonne au pot au feu. N'a que dix sept ans mais elle bouscule son amant. Lui ouvre des portes qu'il n'avait pas eu l'opportunité de pousser jusqu'à lors. Lui met le nez dans le maelström des combats pour les Droits civiques et d'un autre côté lui apprend qu'à côté de la chanson populaire, il existe aussi des arts moins immédiats. Lui révèle le monde des peintres, de la littérature, de la Culture avec un grand C. Dylan absorbe les leçons, mais cela ne nourrit pas son homme. Signe avec avec Grossman, lui aussi producteur chez Columbia. C'est un carnassier. Belle lurette qu'il a découvert la révélation qu'auront les Stones dans les mois suivants. L'on touche plus d'argent sur les droits - paroles et musique - que sur l' interprétation. Dylan pige vite. Grossman lui installe un piano dans un bureau et notre impétrant travaillera pendant dix-huit mois à pondre des chansons. Grossman possède l'oiseau rare, sa poule aux oeufs d'or, et Dylan découvre les secrets de l'écriture. Comprend qu'il faut raconter une histoire qui colle au vécu des gens - justement la crise de Cuba et la peur de la bombe atomique obsède les foules - c'est l'air du temps, mettez-y des personnages fantomatiques dans lesquels chacun peut se reconnaître et enchâssez le tout dans un filet de mots troués qui laissent filer le sens dans toutes les directions et qui tombent sur vous et vous emprisonnent comme une nasse. Pour le titre rajoutez une formule forgée à l'enclume, et c'est gagné. Pour la musique Dylan se sert dans le fonds commun, ou chez les amis, maltraite les harmonies, désarticule les structures, fait du neuf avec du vieux. Peter Paul and May - signés par Grossman - pulvérisent le hit parade avec Blowin in the wind, la mécanique Grossman est lancée...
REBEL WITH A DOUBLE CAUSE
Deux rencontres importantes cette année 1963. Amour et poésie. Une femme, un homme. Joan Baez, a love story. Joanie est une star. Une folk star dont les disques se vendent par millions et dont les concerts attirent les foules. Non seulement Dylan fera ses premières parties mais c'est elle qui l'imposera au public en lui demandant d'arrêter de discuter et d'écouter. Avec Joanie Dylan accède à une audience qui n'est plus celle du minuscule milieu des folkleux purs et durs. Joan Baez est aussi une militante des droits civiques, il participera avec elle à la marche devant la Maison Blanche. Certains des meneurs politiques noirs grinceront quelque peu des dents, il leur semble que la carrière de ces chanteurs blancs a davantage bénéficié de leur participation au mouvement qu'ils n'ont apporté à la cause noire...
Le deuxième disque de Bob Freeweelin' ( 1963 ) marche bien mieux que le premier qui n'avait pas atteint les cinq mille exemplaires l'année de son lancement. Mais c'est le troisième The Times Tey Are A-Changing ( 1964 ) paru peu de temps après le précédent qui assoit sa renommée. Toute la nomenklatura folk se retrouve au festival de Newport où elle fait un triomphe. Les textes de Dylan se teintent d'un engagement politique certain, mais ce sont les discussions avec Alan Ginsberg qui atomiseront l'écriture de Dylan. Ne s'agit pas de composer des chansonnettes mais d'écrire de la poésie. Abandonner l'art mineur de la chansonnette pour la grande littérature. Bretch, Withman, Villon, Rimbaud, Ginsberg permet à Dylan de mieux entrevoir et intégrer les enjeux vertigineux de l'écriture poétique.
CHANGEMENTS ELECTRIQUES
Des rencontres dont les conséquences seront déterminantes. Lors d'une virée en voiture on the road au travers des States - l'on en profitera pour s'initier aux bonbons préférés de Johnny Cash - Dylan est frappé par l'énergie électrique de I Want To Hold Your Hand des Beatles. A l'arrière de la voiture il compose Mister Tambourine Man qui sera interprété par les Byrds, des oyseaux qui squattent les fils électriques du renouveau du rock... A Newport où il passe en vedette le public n'accroche guère à ses nouveaux titres qui se retrouveront sur Another Side od Bob Dylan ( 164 ). Dylan semble se dépolitiser. Son écriture s'éloigne des canons du folk. Mais l'en est un qui le défend farouchement. Johnny Cash qui offre une prestation électrique. Comme il est catalogué country, cela passe tout seul. Voilà une série de coïncidences qui donneraient à réfléchir à n'importe qui. Du coup Bobby s'achète une stratocaster... Le quatrième album n'est guère prisé par le public.
Mais le cinquième - électricité à tous les étages - Bring It All Back Home ( 1965 ) sera un succès. Mot trop faible. C'est avec lui que Dylan rentre dans la légende. Petit folkleux devient rock and roll star. L'atteint à une aura que seuls partagent les Stones et les Beatles. Visite l'Europe, le lecteur se rapportera à l'autobiographie de Marianne Faithfull pour prendre le pouls de l'atmosphère. C'est en Angleterre qu'il écrit les premières moutures de Like a Rolling Stone.
LA RUPTURE ELECTRIQUE
Le morceau sera enregistré de retour aux States. Mike Bloomfield est à la guitare. N'a pas été choisi au hasard. L'a accompagné Muddy Waters, Howlin' Wolf, Little Walter, mais ce n'est pas cela qui intéresse Dylan. A Londres il a congédié Eric Clapton qui joue trop blues, au travers de Bloomfield Dylan recherche l'esprit ramblin' blues, magnifiquement incarné par Robert Jonhson, ne s'agit pas de jouer le blues, faut avant tout incarner sa propre légende au fur et à mesure qu'on la vit. Life like poetry comme avait dit Lefty Frizzell.
L'on en arrive au meurtre des pères. Alan Lomax, Pete Seeger et John Hoffman, les têtes charismatiques et organisatrices de Newport. Redoutent la trahison du fils. Qui passera le Rubicon de l'électricité. Le hasard d'un orage bouscule l'ordre des passages, ce sera après le Paul Butterfiefd Blues Band où joue Bloomield. Je-m'en-foutisme provocatif de Dylan ? Puisque le matos est sur place, autant jouer électrique. Fera trois morceaux qui déchaînent la haine du public. Lorsqu'il descend de scène Johnny Cash sauve la situation, lui passe une acoustique et le renvoie d'autorité sur l'estrade pour deux morceaux. Le folk ne se remettra jamais de cette coupure épistémo-électrique. Durant des années Dylan encourra durant ses concerts les remontrances houleuses de la composante puriste d'un public qui lui reprochera sa commerciale trahison.
La poursuite de l'enregistrement de Highway 61 revisited - l'autoroute qui descend de Duluth à la New Orleans - en passant par un croisement où un certain Robert Johnson aurait rencontré the Devil in person - se poursuivra dans la même veine que la session de Like a Rolling Stones, Bloomfield à la guitare, Al Kooper à l'orgue, plus un invité surprise pour les overdubs de guitare Charlie McCoy- venu pour l'occasion tout droit de Nashville - qui ne touchera pas à son harmonica mais qui donnera une démonstration de vibraphone. Lorsque l'on est doué en tout...
Pour son groupe de scène Dylan choisit un guitariste qu'il a déjà rencontré Robbie Roberston qui finira par faire embaucher son groupe The Hawks. Les amateurs de rock and roll auront reconnu le combo de Ronnie Hawkins. Bientôt seront rebaptisés The Band. Resteront jusqu'en 1974 avec Dylan. Seront présent sur les mythiques enregistrements des Basement Tapes dont l'intégralité vient enfin d'être livrée après presque un demi-siècle d'attente à l'avide curiosité des fans ces dernières semaines...
En attendant les concerts s'enchaînent. Durant deux mois Miky Jones - le batteur de Johnny Hallyday - remplace Levon Helm qui ne supporte plus les sifflets du public. De passage à Nashville, Dylan enregistre avec Charlie McCoy et Kenny Buttrey ce qui deviendra Blonde on Blonde, le premier double album de l'histoire du rock ( 1966 )... Hawaï, Australie, Suède, Angleterre, France où le concert déconcerte... la visite à Hughes Aufray chamboulera la perception germinative du rock en France... l'infernale tournée n'en finit plus... Ouf enfin le repos dans sa propriété à Woodstock pas très loin de là où habite Albert Grossman dont l'épouse Sally est la copine de Sara, la femme de Bob.
LA COUPURE EXISTENTIELLE
Accident de moto ? Plutôt l'incident qui fournit l'opportunité du break, rester à la maison, se déprendre des produits, préparer la venue du deuxième enfant, et enregistrer avec le Band ces fameux basement's tapes qui sont des maquettes que Grossman propose à la vente à divers artistes. Grossman qui gagne davantage d'argent que Dylan sur les droits de l'ensemble de ses créations. Le contrat brûle entre les deux hommes...
La signature ( substantiellement revue à la hausse ) est renouvelée avec Columbia. Dylan produit John Wesley Hardin, enregistré en trois courtes sessions entre octobre et novembre 1967, le disque est dépouillé, pratiquement Dylan et sa voix. J'y ai toujours vu à une analogie avec le Nebraska de Springteen mais cela n'engage que moi... Dylan se lance dans la peinture...
Nashville Skyline ( 1969 ) ne sera pas un chef-d'oeuvre, Self Portrait ( 1970 ) déçoit lourdement, Dylan a quitté sa propriété de Woodstock, sa prestation au festival de Wight aura été médiocre, sans plus... Achète une maison, manière de se se ressourcer, à Greenwich Village, s'en enfuira deux ans plus tard.
DERNIERE MUE
New Morning ( 1970 ) sonnera le réveil de la bête. La bande originale de Pat Garrett and Billy the Kid ( 1973 ) offre Knockin' on the Heaven's Door, un chef d'oeuvre. Planet Wawes ( 1974 ) enregistré en studio avec le Band contiendra For Ever Young inspiré de John Keats.
Dans les années qui suivent Dylan donne l'impression de courir après sa jeunesse enfuie, lui qui ne parvient pas à être à l'aise dans sa condition d'adulte responsable. Se sépare de Sara. L'est une sorte de clochard peut-être céleste mais sûrement millionnaire. S'achète des maisons, enregistre des disques Blood on the Track ( 1975 ) que certains tiennent pour un chef-doeuvre et d'autres pour une oeuvre sans chef... Desire ( 1976 ) et son violon resteront pour certains le dernier disque de Dylan qui compte réellement. Entre les deux albums ce sera la Rolling Thunder Rewiew, une tournée dans laquelle Dylan se lance sur la piste perdue de Woody Guthrie, mais il ne retrouvera jamais le chemin, même s'il suit une sente parallèle.
La suite ( jusqu'en 2006, date de la parution de son livre ) François Bon la parcourt en grands bonds de kangourou géant, trente pages pour presque trente années... Dylan s'y montre fidèle à lui-même, parfois claquemuré dans son orgueil, tantôt donnant le change du boy scout attentionné à ses proches, jamais satisfait de lui-même.
PORTRAIT PSYCHOLOGIQUE
Doté d'un sale caractère, un caractériel mais un taiseux, qui n'en fait qu'à sa tête, un autiste de la communication, le succès lui aura donné un tel ascendant et un si fort pouvoir sur son entourage et ses intimes dont il abuse. Ne vous adresse la parole que si cela lui chante, vous délaisse du jour au lendemain, sans préavis, vraisemblablement sa manière à lui de se démarquer de l'idolâtrie dont il est victime. Ne fait que ce qu'il veut. Perçoit trop l'hypocrisie des relations humaines - la sienne et celle des autres - pour ne pas la fuir. A beaucoup appris des autres, mais il refuse de leur en être redevable. Craint par-dessus tout de s'inféoder à un tiers. A tel point que l'on pourrait lui reprocher un certain manque d'empathie envers ses proches et ses collaborateurs. Essaie ainsi de préserver sa liberté d'agir et de penser. Une conduite de manipulateur discret. Le genre de gars qu'il vaut mieux laisser dans son coin. N'en sera pas malheureux, se débrouillera pour arriver à ses fins. Cette armature intellectuelle ne lui aura pas mal réussi.
Damie Chad.
JAMES BALDWIN
L'EVIDENCE DES CHOSES
QU'ON NE DIT PAS
BENOÎT DEPARDIEU
( Coll : Voix Américaines / BELIN / 2004 )
Voulu en savoir plus sur ce James Baldin rencontré la semaine dernière dans notre chronique sur Nina Simone. Ai tapé d'instinct dans cette courte biographie de 126 pages écrite par Benoît Depardieu au Havre, la cité rock par excellence. Les grands chapitres de la vie de Baldwin y sont parfaitement résumés mais notre teacher a surtout cherché à analyser le cheminement de la pensée de Baldwin telle qu'il l'a actée en son existence.
James Baldwin a souffert de trois tares congénitales. Dès le premier jour de sa naissance. Un bâtard de sa mère reconnu par le pasteur David Baldwin, un nègre ce qui est un handicap rédhibitoire dans l'Amérique blanche, et fraise de bite sur le tableau un sale pédéraste. Tout pour ne pas plaire.
Elevé dans la religion chrétienne par un père nourricier adoptif sévère et puritain. Le jeune Baldwin sera horrifié et fasciné par le personnage paternel. Lui aussi voudra devenir pasteur. Commencera à prêcher dès l'âge de quinze ans. Abandonnera à dix-sept. Toute sa vie il restera un redoutable harangueur. Sait exposer ses idées, les mettre en scène, les développer, les coucher sur papier, les rendre accessibles au plus grand nombre. Ses Essais polémiques lui assureront une audience respectée et recherchée par les intellectuels blancs et progressistes.
Mais le christianisme lui insufflera une marque terrifiante : la notion de culpabilité. Auto-culpabilité envers ce père adoptif qu'il n'aime pas comme il faudrait. Les conséquences en seront complexes et séminales. Au sens strict de ce mot. Est-on un Homme dès la naissance ou le devient-on ? Naît-on homosexuel ou les circonstances adjacentes nous induisent-elles à adopter un tel choix ? Vaste question à laquelle l'actualité inciterait sans doute à répondre tout en tenant compte des nouvelles théories du genre. Est-ce un démarquage vis-à-vis du modèle paternel ou le moyen de ne pas se couper totalement de la figure par trop imposante du Père qui feront que James Baldwin revendiquera haut et fort son homosexualité ? La pédérastie est-elle le signe que l'on peut tuer le père mais qu'il est impossible de jouir physiquement hors d'un rapport sexuel pleinement viril en tant que rappel incessant, tache indélébile, du meurtre initial et fondateur de sa propre liberté ?
Dans un premier temps Baldwin essaiera d'esquiver le problème en élisant des pères de substitution - le plus célèbre d'entre eux sera Richard Wrigth, l'auteur de Black Boy - dont il s'affranchira sans regret. Le plus important n'est pas là. James Baldwin appliquera ce noeud quasi oedipien à l'analyse des rapports blancs / noirs. Si les blancs continuent à exercer une domination raciale et économique sur les noirs explique-t-il, c'est pour essayer d'effacer la souillure originelle et symbolique du premier esclave tué par un homme blanc. Nous ne sommes pas loin du mythe du meurtre de Caïn et Abel, mais Baldwin préfère s'en référer à une autre scène biblique : le drame de Cham fils de Noé de couleur noire dont la descendance fut maudite parce que son fils avait contemplé la nudité de son grand-père endormi et s'en était moqué. La peur du blanc provient de la confrontation de son petit zizi riquiqui avec le dur et long membre turgescent du noir. Le blanc ne supporte pas qu'un jour le noir s'en vienne baiser sa femme et que celle-ci y prenne un plaisir bestial de femelle enfin totalement satisfaite. Lors des séances de lynchage les hommes noirs ne sont pas seulement pendus, subissent aussi une émasculation qui en dit long sur les frayeurs de leurs bourreaux. Cette coupure irrémédiable entre le noir et le blanc disparaîtra le jour où les deux frères de couleurs différentes viendront à se considérer avant tout comme des êtres humains...
Cette fin supposée peut apparaître un peu fleur bleue. James Baldwin n'a guère envie d'attendre que le miracle de l'amour humain se réalise. L'est pressé : tout, et tout de suite. Veut bien manifester dans le calme et demander sans violence la pleine application des Droits Civiques aux côtés de Martin Luther King. Mais peu à peu, devant les assassinats répétés d'enfants noirs, il s'en démarquera, se rapprochera des positions des Black Panters et de Stokely Carmichael, et se sent de plus en plus en accord avec certaines des positions de Malcom X, il comprend l'idée d'une séparation radicale des deux communautés, mais détestant toute forme de monothéisme vecteur d'intégrisme, il refuse l'adoption de l'Islam pour en finir une bonne fois pour toutes avec la religion christologique des anciens maîtres. Baldwin ne se convertira point. Se détachera même des mouvements contestataires noirs, blessé d'être mis de côté par ses frères de combat pour son homosexualité. Ne suffit pas de prendre les armes, il faut aussi faire le nettoyage à l'intérieur de son cerveau...
Ne se sentant plus en sécurité aux Etats-Unis à cause de ses prises de position révolutionnaires, craignant d'être assassiné, en 1970, Baldwin s'installera en France jusqu'à sa mort en 1987. Reste son oeuvre ( romans, poésie, essais, théâtre ) que nous présenterons à notre gré dans de futures livraisons de KR'TNT et sur laquelle Benoît Depardieu se penche avec finesse. Penseur et activiste, il n'est pas étonnant que la figure de James Baldwin soit de nos jours un tant soit peu occultée. Il n'y a de hasard. Seulement des rencontres. Souvent des sens interdits.
Damie Chad,
14:33 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : karen dalton, nico'zz band, crashbirds, bob dylan, james baldwin